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«Le Sahara algérien est très convoité...»
Idebir Ahmed. Amenokal des Touareg
Publié dans El Watan le 11 - 10 - 2010

La situation sécuritaire au sud du pays inquiète, l'amenokal des Touareg, Idebir Ahmed, dans l'entretien qu'il nous a accordé chez lui à Tamanrasset, revient sur les «manipulations» de certains pays voisins et affirme que la question du Sahara algérien a été tranchée avant l'indépendance du pays.
L'amenokal dément catégoriquement la présence militaire américaine dans la région et nie toute relation avec le président libyen, El Gueddafi. Selon lui, de nombreuses personnes étrangères ont été inscrites au fichier de la région, dans le but de rendre la situation impossible à maîtriser. L'amenokal alerte sur les «conséquences graves» de la marginalisation de la population locale et reconnaît, dans la foulée, «la difficulté» de contrôler les jeune Targuis, «plus exigeants et moins réceptifs» que leurs aînés. Il décrit une situation inquiétante à cause de l'activité des terroristes et surtout ses conséquences sur le tourisme saharien qui fait vivre un large pan de la société.
Entretien :
-Le Sud algérien est classé par les Français comme une zone dangereuse tout autant que le nord du Mali, du Niger et de la Mauritanie. Pensez-vous que c'est le cas ?
Les problèmes liés à la sécurité ne touchent pas le Sud algérien. Ils sont au-delà de la frontière. Vous avez remarqué que depuis l'enlèvement des 32 touristes allemands et autrichiens en 2003, Dieu merci, il n'y a plus jamais eu d'autres prises d'otages grâce aux services de sécurité et à la population locale. Nous faisons tout notre possible pour que la région reste paisible. Entre l'Algérie et le nord du Mali, il y a une grande différence. Là-bas les gens sont des laissés-pour-compte. Ils n'ont absolument rien. La misère pèse lourdement sur leur quotidien. Ce qui n'est pas le cas dans notre pays.
-Pourtant les activités terroristes sont aux portes de l'Algérie. Ne craignez-vous pas que la situation déborde sur le territoire algérien et que des attaques, comme celle qui a visé les 11 gardes-frontières à Tinzaouatine, puissent être rééditées ?
Je ne le pense pas. Tous nos efforts sont concentrés sur la situation sécuritaire. Mais croyez-moi, cela devient de plus en plus difficile. Pour l'instant, nous pensons maîtriser la situation sur le terrain, mais ce n'est pas évident de se faire entendre comme avant. Les jeunes d'aujourd'hui sont plus exigeants et moins réceptifs. Cependant, nous avons réussi quand même à faire réfléchir les jeunes de Djanet, qui ont, il y a quelque temps, pris les armes, et convaincus de la nécessité de se rendre et d'utiliser des moyens pacifiques de revendications sociales. Il y en a qui ont pu décrocher des postes de travail et d'autres qui attendent. Nous espérons que toutes les promesses faites à l'époque seront respectées. Nous ne voulions pas que la situation nous échappe de la sorte. Mais comme je l'ai expliqué plus haut, les jeunes de maintenant sont moins réceptifs qu'avant…
-Pourquoi, selon vous, les jeunes ne vous écoutent plus comme avant ? Est-ce parce que vous n'êtes plus à l'écoute de leurs préoccupations ou parce qu'ils ne se reconnaissent plus du modèle de vie que vous incarnez ?
Avant la parole était unifiée et se répandait comme un éclair. Quand un mot est dit, il est tout de suite entendu partout au sein de la communauté qui était, faut-il le rappeler, homogène. Mais, aujourd'hui, celle-ci n'est plus comme avant. Nous avons les 48 wilayas et une quarantaine de pays africains qui vivent dans la région. Comment voulez-vous que nos jeunes ne soient pas influencés par cette nouvelle donne. Avant, les parents étaient responsables des agissements de leurs enfants et lorsqu'ils étaient interpellés, la réaction était immédiate.
Aujourd'hui, il est difficile de surveiller les enfants ou de les obliger à respecter un ordre établi par la communauté. En tant que notables, nous concentrons tous nos efforts à ce volet, afin d'éviter les dérapages. Il faut reconnaître que, dans le passé, le territoire était partagé entre les tribus et rien ne se faisait sans l'avis des chefs. Durant cette période, les Touareg étaient les gardiens des lieux, de la faune et de la flore. Il était impensable pour un Nigérien ou un Malien de venir arracher l'armoise ici chez nous. Aujourd'hui, cette herbe médicinale est exploitée à grande échelle et nous n'avons pas le droit d'arrêter les auteurs, de peur d'avoir des problèmes avec les services de sécurité. Pourtant, il s'agit bel et bien d'une plante qui a une importance capitale chez la communauté et elle est en voie de disparition dans certains endroits.
-Certains accusent les Touareg de pratiquer la contrebande et surtout de servir de guides aux terroristes ou de mercenaires dans les prises d'otages. Qu'en pensez-vous ?
De quels Touareg parlez-vous ? Algériens, nigériens, mauritaniens, maliens ou libyens ? Dites-nous où sont ces contrebandiers ou ces terroristes targuis et nous vous donnerons la réponse. Toutes ces nationalités vivent ici à Tamanrasset. Pouvez-vous les différencier ? Il n'y a que ceux qui les connaissent qui en sont capables. Mais pour les autres, ce sont tous des Touareg algériens et donc, qu'ils soient des autres régions du Sahara, cela ne change en rien leur position. Des enlèvements ont eu lieu à Arlit, en territoire nigérien, pourtant, lorsque vous entendez les médias, on parle beaucoup plus de Tamanrasset. Il est vrai que des membres de notre communauté se trouvent entre le nord du Mali et celui du Niger.
Ils y sont pour le commerce, pas parce qu'ils souffrent de la misère. Ils s'y rendent soit pour le pâturage soit pour vendre. Ils n'y vont pas pour voler ou trafiquer. Mieux, beaucoup font travailler les gens là-bas. J'ai été récemment au Niger et j'y ai rencontré bon nombre d'entre eux. Leur seule préoccupation est de pouvoir s'inscrire sans problème auprès de notre consulat. En dépit des problèmes que vit la région, au même titre d'ailleurs que les autres wilayas du pays, les Touareg n'ont jamais rêvé d'une université à Tamanrasset ou d'une station qui ramène de l'eau de 700 km, pour alimenter toute la communauté. C'est un acquis considérable et nous en sommes vraiment reconnaissants.
-Pourtant il y a bien eu des Targuis impliqués dans le terrorisme et dans la contrebande ?
Ils sont rares et ne peuvent représenter la communauté. Les autres ont fini par apprendre notre langue et nos habitudes. Qui leur a permis d'être parmi nous ? Un vrai Targui n'accepterait jamais que son fils soit un contrebandier ou un terroriste. Cherchez bien la vraie identité des trafiquants et des fraudeurs et vous allez vous rendre compte que l'écrasante majorité vient d'ailleurs…
Ne pensez-vous pas que l'oisiveté peut aussi pousser les jeunes Targuis à rejoindre les rangs des contrebandiers ou des terroristes ?
C'est ce que disent ceux qui ne connaissent pas la région. Ce n'est pas à cause du manque de travail que nous détruisons notre pays. Le terrorisme et la contrebande sont des activités dangereuses qui compromettent l'avenir de la communauté.
-De nombreux ressortissants installés à Tamanrasset réclament leurs papiers d'identité. Ils vivaient en nomades dans la région du Sahel avant de se fixer. Sont-ils réellement des Touareg algériens ?
Je ne nie pas l'existence d'Algériens oubliés, mais pas comme que les médias présentent les faits. Qu'ils nous donnent la liste des noms qui veulent la nationalité et nous allons nous charger de les défendre. Chez nous, chaque tribu touareg reconnaît les siens. Il n'y a jamais eu d'intrus parce que dans chaque commune, il y avait une commission chargée de la naturalisation, constituée des représentants de toutes les tribus touareg. Aucun papier ne pouvait être délivré sans l'avis de cette commission. Mais depuis sa disparition, il y a des années, les inscriptions se font au niveau des tribunaux, sans se référer aux représentants des tribus. De nombreuses personnes étrangères ont été portées sur le fichier national algérien.
-Pensez-vous que cette politique a été délibérée dans le but de casser cette cohésion communautaire ?
Je reste convaincu que cela a été fait exprès dans le but de rendre la situation impossible à maîtriser. Nous connaissons tous ceux qui demandent la nationalité algérienne. Nous avons la liste de tous ceux qui sont venus durant les années 1981-82-83, à la suite de la grande sécheresse qui a sévi dans la région du Sahel. Avant, lorsqu'une seule personne s'introduisait du côté de l'Askrem, quelques heures plus tard, les gendarmes étaient informés et se déplaçaient sur les lieux pour s'enquérir de cette présence. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, parce qu'il y a plus d'étrangers dans la région que de Touareg. La cohabitation entre eux est plus formelle que réelle…
-Pensez-vous que cet état de fait a aidé les terroristes et les contrebandiers à avoir des complices dans la région ?
Lorsque qu'on propose à un chauffeur salarié la somme d'un milliard de centimes en contrepartie d'un convoyage de marchandise d'une ville à une autre, n'espérez pas avoir un refus. L'offre est vite acceptée. Elle attire même tous les jeunes. Nous faisons tout pour les sensibiliser et les maintenir loin de la portée des trafiquants…
-Le président libyen, Mouammar El Gueddafi, a affirmé avoir rencontré l'ensemble des chefs des tribus touareg, algériens, maliens, mauritaniens, nigériens et libyens, pour les fédérer en un royaume du Grand Sahara. Qu'en pensez-vous ?
Le seul que nous reconnaissons en tant que président, c'est Abdelaziz Bouteflika, celui de tous les Algériens. Si Gueddafi veut nous inviter ou nous parler, il doit passer par son homologue et interlocuteur algérien, qui est Bouteflika. En 2005, après le décès de Akhamok, il voulait venir présenter les condoléances, il est passé par la présidence, et ce sont les services du ministère algérien des Affaires étrangères, qui nous ont informés. Il est donc important de rappeler que la région du Sahara algérien a un seul président, c'est Abdelaziz Bouteflika. Les Touareg algériens, qui constituent le cœur même de la communauté, n'ont rien à voir avec ces réunions que Gueddafi a tenues avec d'autres Touareg des pays voisins. Nous gérons nos problèmes avec les pouvoirs publics algériens, nos seuls vis-à-vis que nous connaissons.
-Le même président a accusé l'Algérie d'avoir été à l'origine de la situation actuelle qui prévaut dans la région du Sahel. Quel est votre avis sur ces propos ?
C'est au président de la République de lui répondre et non à moi. Mais je peux vous dire que ceux qui ont aidé à une telle situation sont forts. Ils ont réussi à engendrer un climat d'insécurité qui compromet tout effort de développement dans la région. Nous avons vraiment peur des conséquences…
-Comment voyez-vous la prise en charge de cette situation ?
J'ai toujours dit que s'il n'y a pas de coordination entre l'Exécutif et les élus, il y aura de graves problèmes dans la région. Il est de notoriété que le wali doit être au courant de ce que fait l'Etat et dont la population n'est pas au courant. Son rôle est de servir d'intermédiaire entre les structures de l'Etat et les citoyens, lesquels doivent être impliqués dans tout ce qui concerne la gestion de la collectivité.
-Justement, le décret régissant les agences de voyages et de tourisme et promulgué au mois de juillet dernier a suscité la colère des professionnels du tourisme saharien, qui voient leur activité, dont dépend tout un pan de la population locale, menacée. Qu'allez-vous faire en tant que chef des tribus touareg et député de la région de Tamanrasset ?
J'ai été interpellé non seulement par les agences de la région, mais également par de nombreux guides et chameliers qui vivent du tourisme. Aujourd'hui même, deux chameliers de Tazrouk et Idles sont venus se plaindre également des sites touristiques qui ont été fermés et qui leur permettaient de faire vivre leurs familles. Le tourisme a été pour eux une aubaine, après la sécheresse qui a sévi pendant plus de six ans. Ils ont repris l'élevage du chameau pour l'utiliser dans les circuits de méhari. La fermeture de certains sites nous a un peu surpris, dans la mesure où le problème de sécurité se pose beaucoup plus au-delà des frontières.
Depuis 2003, après le rapt des 32 touristes, Dieu merci, il n'y a plu eu de touristes enlevés en territoire algérien. Nous sommes les gardiens de la région et nous restons très vigilants, car la sécurité est également notre problème. Les gens qui vivent du tourisme n'ont rien d'autre comme activité. Fort heureusement, cette année il y a eu une excellente pluviométrie qui va permettre à ceux qui ont perdu leur travail dans le secteur du tourisme de reprendre l'agriculture et l'élevage camelin. Nous savons tous que le tourisme est la seule activité qui nourrit toute la région. Nos potentialités sont énormes, il suffit de bien les exploiter pour que des pans entiers de la jeunesse ne basculent pas vers l'inconnu. Les préoccupations des habitants seront soumises aux autorités du pays et il y aura certainement une solution dans un avenir proche.
-Pouvons-nous connaître votre avis sur cette information rapportée par la presse française, ces derniers jours, relative à l'existence d'une base de 400 militaires américains dans la région de Tamanrasset ?
Les seuls militaires qui se trouvent à Tamanrasset appartiennent à l'Armée nationale populaire (ANP). Nous n'avons jamais remarqué la présence de soldats autres que les nôtres. Une caserne de 400 hommes comme cela a été rapporté ne peut passer inaperçue. Nous sommes devant une manœuvre de propagande tendancieuse. Tamanrasset est à chaque fois associée par la presse étrangère à tout ce qui est mal vu.
-Y a-t-il une explication à cette propagande ?
La seule explication est à chercher peut-être chez ceux qui n'ont jamais accepté l'algérianité du Sahara. Vous savez que les positions du Mali et du Niger diffèrent totalement de celle de l'Algérie, en ce qui concerne l'ancien colonisateur. Le Sahara algérien est très convoité et ses Touareg dérangent, parce qu'ils se reconnaissent de l'Etat algérien et n'obéissent qu'à l'Etat algérien. Il est important de rappeler que la question du Sahara algérien a été tranchée par nos aînés bien avant l'indépendance de l'Algérie. Ce n'est pas aujourd'hui que nous allons la remettre en cause.


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