Les élus se préoccupent beaucoup plus de leur avenir politique que de défendre le patrimoine dont ils ont, normalement, la responsabilité. Que connaît-on maintenant de «Sahet Echouhada», appelée officiellement place du 8 Mai 1945 qui, pour les jeunes Algérois ou ceux qui viennent de s'installer à Alger, ne signifie plus qu'un immense arrêt de bus. Abritant pourtant plusieurs trésors historiques, ce lieu est en train de se vider de son patrimoine, matériel et non matériel, en l'absence d'une réaction concrète des autorités locales. Si l'avenue du 1er Novembre (allant de la place des Martyrs à Bab El Oued) a trouvé la vocation d'abriter plusieurs institutions et locaux d'administration, la rue Bab El Oued, elle, est dénudée de tous ses ornements pour devenir une rue marchande, sans aucun cachet traditionnel, c'est pourtant la rue qui longe la place du 8 Mai 1945. Avec ses arcades et la mosquée Betchine qui n'est autre que l'ancienne église Notre- Dame des victoires, cette rue aurait pu attirer plus de curieux et de visiteurs, et pourquoi pas de touristes ? Les arcades sont à peine perceptibles avec le brouhaha des marchands informels et des ménagères qui font leurs courses et les articles accrochés ça et là. Des groupes de femmes prennent d'assaut le marché Zoudj Aâyoun, réputé pour ses prix relativement bas par rapport à ceux pratiqués dans d'autres surfaces marchandes. Et c'est de loin que les passants peuvent distinguer les voix des bonnes «négociantes» qui veulent arracher les meilleures remises sur les prix des articles achetés. Vous pouvez apercevoir plus facilement les trois marchés installés le long de cette rue, mais vous aurez de la peine à distinguer la mosquée qui vient de faire l'objet d'une opération de réhabilitation. Est-elle toujours fermée ou est-elle ouverte ? Il faut vraiment s'y introduire pour le savoir, aucun indice ne peut renseigner un curieux n'habitant pas les parages. La couleur blanche de la façade donnant à cette rue et les dorures ornant les angles des murs de ce chef-d'œuvre architectural sont cachées par une clôture en bois amochée par des graffitis. Les kiosques, censés abriter des commerces liés à la vocation de ces lieux, sont cédés à des gérants de fast-foods et de cafétéria. Aucune trace de cafés traditionnels ou de terras ses conviviales ; les buvettes, où les clients ne disposent même pas de chaises pour s'asseoir où ils ont juste le temps d'avaler un sandwich, ont remplacé les cafés maures et magasins d'artisanat. Où sont donc passés les parfums qui embaumaient ces lieux qu'on décrivait jadis accueillants ? Plus de senteurs du jasmin et de fleurs d'orangers, mais place à l'odeur de fritures et de cigarettes qui inondent le périmètre, si ce n'est pas ajouter aux puanteurs d'un égout éclaté et dont la réparation n'est pas encore à l'ordre du jour. Parfum d'autan Ceux qui ont connu la place des Martyrs dans ses meilleurs jours se rappellent du pavé qui revêtait le sol et ne pardonneront certainement jamais à celui qui a décidé de faire replacer ce revêtement par un carrelage qui irait mieux pour une cuisine. «Gare à celle qui s'aventurerait avec des chaussures à talons un jour de pluie», dira ironiquement un quinquagénaire issu de La Casbah. Cette place ressemble de plus en plus à celles improvisées un peu partout dans la capitale pour faire office de centre-ville. «Si ailleurs, les gens acceptent l'absence de cachet urbanistique, vu que ces placettes sont réalisées dans la hâte, comme les cités d'ailleurs, nous avons du mal à suivre les transformations qui sont en train de se faire ici», ajoute notre interlocuteur. Son compagnon, un verre de thé à la main, nous dira que «les responsables locaux ont complètement ignoré la possibilité de faire de la place des Martyrs un lieu agréable et convivial où des visiteurs de La Casbah peuvent observer une pause. La cuisine locale traditionnelle, les livres, l'artisanat sont autant de domaines pouvant faire objet d'investissements et faire connaître La Casbah qui est classée patrimoine mondial». Le fait que l'accès au jardin, situé à côté du Bastion 23, où est érigée la statue de Raïs Hamidou, soit interdit et que le parking le plus proche soit inexploité sont autant de raisons pouvant dissuader les curieux et les visiteurs potentiels à venir vers ces espaces historiques, estime-t-on également. Il faut souligner que les travaux du métro et la découverte de vestiges historiques freinent tout projet de réhabilitation ou d'élaboration de cachet urbanistique. Les barrières métalliques encadrant le chantier et le périmètre de fouilles tendent à s'installer dans la durée. Les passants habituels de cet endroit brûlent certainement d'envie de connaître l'aspect définitif de cette place une fois le métro livré. Les embûches rencontrées pour la restauration de La Casbah sont certainement derrière l'abandon caractérisant cette place. Le blocage que connaît depuis des années l'APC de La Casbah n'a fait qu'accentuer le relâchement. Les associations revendiquant le respect du cachet historique des lieux n'ont aucun interlocuteur. Les élus se préoccupent beaucoup plus de leur avenir politique que de défendre le patrimoine dont ils ont, normalement, la responsabilité.