«Il y a le petit mensonge, le gros mensonge et il y a la politique.» Duc de Talleyrand Le 17 mai le peuple algérien a rendez-vous avec son destin. Il s'agit en l'occurrence de voter pour ses représentants à même de mieux le «représenter» au niveau de l'Assemblée nationale. La situation parait a priori normale, d'autant que curieusement aucun parti parmi la dizaine ne trouve à redire de cette situation pour le moins ubuesque. Tentons de coder les arcanes que l'on dit subtils de la politique alors qu'en vérité, la triste et amère réalité des intérêts est en jeu. Comment en effet, comprendre cette vaste conspiration du silence- gouvernement et opposition confondus- où chacun brasse du vent en tentant de faire croire, avec la complicité des médias et des spots publicitaires, à la régularité d'une élection libre, transparente et honnête. Point n'est besoin de douter, cette élection sera honnête car tout s'est joué avant. Le peuple n'est là que pour entériner une décision déjà prise, celle de remplir un hémicycle de personnes à qui il n'est surtout pas demandé de critiquer, d'autant que ceux qui critiquent n'ont aucune chance de figurer en position éligible sur les listes concoctées, on l'aura compris, loin de la base qui est traitée avec un solide mépris. L'élu des hommes Pourquoi cela? Une seule réponse vient à l'esprit, la position sociale qui fait de «l'élu» des hommes et de Dieu un privilégié dont l'élection n'est pas liée à une quelconque compétence- qu'il peut éventuellement avoir, mais qu'il faut qu'il étouffe-, mais à une allégeance qui tire ses fondements dans un atavisme qui plonge dans la nuit des temps. Cet atavisme appelé indifféremment «accabya» par Ibn Khaldoun, «Ben'amiss», «‘arouch» bref, qui fait appel à des expressions du terroir qui avaient toutes leur pertinence dans l'histoire séculaire de l'organisation sociale des communautés tribales. Et pourtant, ce sont toujours les mêmes mécanismes qui légitiment ou délégitiment des candidats potentiels à l'orée de ce XXIe siècle. Nous vivons plus dans le passé mythique embelli pour l'occasion et nous refusons d'être fascinés par l'avenir. Ce qui intéresse les décideurs du pouvoir et de l'opposition, c'est d'installer l'Algérie dans les temps morts. Ce qui intéresse nos hommes politiques de tout bord, c'est la répartition symbolique et matérielle du pouvoir, certain diront, du gâteau. Notre «opposition» évanescente, quand on a besoin d'elle au quotidien sur les problèmes actuels et futurs, se manifeste et on s'aperçoit qu'elle existe qu'elle a une base militante et mieux encore qu'elle organise des congrès! Quand nos responsables de partis, il y a quelques années, fustigeaient le pouvoir et l'accusaient de refuser l'alternance, ils auraient mieux fait de se taire car à leur tour, ils sont plus vissés que jamais à leur koursi. Ce que le chef du FIS dissous appelait à l'époque «Masmar Djeha». Aucun des chefs de partis nés après le «printemps de la liberté» en 1989, n'a quitté le pouvoir d'une façon sereine et apaisé. On dit d'ailleurs, que les dirigeants arabes quittent le pouvoir par la maladie ou l'émeute. C'est soit le renvoi brutal à l'occasion d'un congrès où tous les coups bas sont permis pour déboulonner «le fondateur». Soit que ce fondateur sans doute plus malin, arrive à avoir raison de la fronde. Résultats des courses, il fait le vide autour de lui, ses compagnons de route font la route avec d'autres et se découvrent d'autres vocations. On constate alors que les nouveaux militants doivent, dans la plus pure tradition ancestrale, faire allégeance au zaïm. Certains exigent même des militants qu'ils soient fidèles aux idéaux du parti, pas du pays, s'ils veulent un jour avoir des miettes du pouvoir sans partage du chef. En définitive nous avons des députés chefs de partis et députés depuis trois mandatures en attendant la quatrième et qui vous donneront mille raisons de garder la main: «Le parti a encore besoin de moi», «la relève n'est pas prête». Ils ne se sont jamais posé la question, pourquoi il n'y a pas de relève après près de vingt ans d'exercice absolu du pouvoir. Qu'attendons-nous réellement d'un député? Est-ce moralement justifié de voter pour des députés dont les missions réelles sont très en deçà des attendus théoriques. Est-ce moral de voter pour quelqu'un que l'on ne connaît pas, dont on ne connaît pas le parcours autre que celui qui fait que cette personne a jailli du néant. Pis encore à tort, on fait croire que la composante des listes comprend des hommes et des femmes instruites et même de niveau universitaire. Triste canular et tromperie sur la marchandise de la part des partis en quête de légitimités qui arrivent à débaucher des «universitaires» sachant bien qu'un diplôme quel qu'il soit ne donne pas une compétence et une intelligence dans la gestion de situations. Seul le quotidien permet de juger sur pièce. Pour cela rien ne vaut un bon citoyen du terroir avec sa sagesse coutumière pour défendre les intérêts des citoyens. Nous sommes d'autant plus confortés dans cette analyse que nous sommes certaines fois dépités par la qualité des interventions des députés et la stérilité des débats qui nous apparaissent quelque peu hors histoire, hors sujet et surtout sentant à mille lieux la langue de bois. Quand on sait les foires d'empoigne qui prévalent pour constituer la liste des élus, on se demande où est le programme de ces élus, sur quoi nous devons les juger pour leur donner nos voix et leur confier d'une certaine façon, notre avenir le temps d'une mandature. Quelle crédibilité peut-on accorder à des députés qui refusent d'être sur des listes où ils ne sont pas sûrs d'être élus au point de changer de parti, et partant de programme pour arriver à cette immunité sociale? On l'aura compris, comme à toutes les époques les parachutistes, je veux dire les parachutés, font la loi. Forts de leur adoubement par le chef, ils défient les sans-grade, les militants de base, qui galèrent à longueur d'année en essayant de maintenir, très souvent par conviction, la flamme de l'idéologie du parti, et qui, naturellement, sont de loin à même de représenter leur région. Il vient que la colère gronde mais les velléités sont tuées dans l'oeuf par des parasitages de toute sorte, la technique de l'argent, la trahison par les Judas. Bref, la région aura un député confortablement élu, et souvent il n'a rien à voir avec la région et par voie de conséquence, il a plus à rendre compte à celui qui l'a fait roi qu'à ceux qui ont voté pour lui. Allez leur parler à ces militants, à ces citoyens qui subissent les affres du quotidien, de termes savants de «démocratie de proximité», comme se plaisent à annôner les chefs de parti. Quant à la méthode Coué utilisée par des partis qui ont jailli du néant, elle n'arrive à tromper plus personne. Quand un parti déclare qu'il est dans toutes les régions, c'est un vernis de légitimité démenti par les urnes. Quand un parti déclare que tout va bien dans le meilleur des mondes, et qu'il affiche pour faire bien une liste de personnes -toujours les mêmes-, ces personnes sont-elles représentatives de cette Algérie profonde dont les voix sont prises en charge par les partis installés tous à Alger, loin de la réalité? Quand au vieux parti laminé par l'usure du pouvoir, il n'arrive pas à distribuer la rente de la députation à tous le monde; entre les barons, les redresseurs qui sont revenus au bercail et la réalité des kasmas qui représentent la réalité des problèmes et la légitimité, l'équation est difficile à résoudre. A défaut d'avoir des solutions exactes, les stratèges sont obligés de faire des approximations. Les problèmes de fronde viennent de ce que les approximations faites, entendons par là, des mauvaises appréciations des pouvoirs locaux. Nul doute que les loups ne se mangent pas entre eux, les rebelles aux dents longues seront d'une façon ou d'une autre, amenés à rentrer dans le rang, jusqu'à la prochaine mandature, où c'est promis, ils seront en position éligible Imaginons enfin, pour rêver, que les députés jeunes car la jeunesse représente 75% de la population qui ne seront élus- qu'une seule fois- se considèrent comme de simples citoyens qui s'astreignent à rendre compte pendant et après leur mandat, qu'ils acceptent de déclarer leur patrimoine avant et après. Imaginons aussi que cette nouvelle assemblée vertueuse, décide de voter la loi sur la corruption, la loi sur le patrimoine, qu'elle décide de rendre sa légitimité sociale à l'université et aux enseignants et qu'elle décide enfin, par pure justice, de rétribuer ses députés non pas en fonction d'une carrière fulgurante -celle de la campagne électorale-, mais en fonction de sa fonction précédente en n'acceptant pour tout salaire qu'une indemnité symbolique de représentation-ce sont quand même des élus du peuple- en sus de leur salaire d'origine acquis celui-ci au prix d'un labeur de toute une vie. Les petites joies de la vie Si nous ne rêvons pas éveillés nous allons nous dépêcher d'aller voter pour des élus qui prennent leur fonction véritablement comme une charge. Ils sont là, disent-ils, pour servir et non se servir. Alors, nous saurons que ces élus qui réellement nous représentent vont accompagner ce peuple pendant cinq ans avec ses joies et ses peines, ses espoirs et ses craintes de l'avenir que l'on nous dit de plus en plus incertain. Alors on comprendra que quelque chose de fondamental a changé et que tout n'est pas irrémédiable. Autrement on continuera à se demander à quoi sert un député, quelle valeur ajoutée il apporte? En dehors de la réponse classique: c'est un «Elu de Dieu» et à ce titre, pendant cinq ans il est condamné à mener grand train avec un salaire 6 à 10 fois supérieur à celui d'un enseignant universitaire. Pendant cinq ans il passera son temps à voter des lois dont il ne connaît souvent ni les tenants ni les aboutissants, il doit veiller à ne pas déplaire à son parti, il doit pour le bien de sa carrière nouer des alliances. Enfin, il sera amené à goûter -à son corps défendant- à toutes les petites joies de la vie tels qu'un passeport diplomatique, des indemnités invisibles, des devises, une immunité qu'il porte comme un fardeau. Il aura même le droit d'avoir le devoir de calomnier mais pas trop, tout juste ce qu'il faut- pour apparaître dans l'opposition-, son pays sur des chaînes étrangères, ce pays qui l'a fait roi. C'est ça la démocratie version Algérie. C'est cela être député dans cette Algérie de tous les paradoxes où le pouvoir fonctionne en roue libre pendant que l'immense masse des citoyens est préoccupée plus par la dureté au quotidien que par les joutes sans gloire de nos futurs élus.