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Des oueds aux canaux
Alger-Amsterdam. La culture célèbre l'histoire
Publié dans El Watan le 16 - 10 - 2010

Amsterdam. Personne en mettant les pieds dans la capitale néerlandaise, ne peut échapper au charme envoûtant de cette ville sur l'eau et à la nonchalance qui semble suinter de ces canaux surprenants. La Venise du Nord, la surnomme-t-on. A juste titre.
De plus, lorsqu'il fait beau, comme en ce début d'octobre, on fond d'aise. Dans la douceur de l'air, on a l'impression d'avoir toujours été là, fredonnant la chanson de Jacques Brel sur le port de cette ville, œuvre magistrale de l'irremplaçable chanteur belge, qui a donné les lettres de noblesse à la poésie française. C'est d'ailleurs une manifestation en langue française qui a fait venir, ici, quatre auteurs algériens, venus célébrer les 400 ans de relations entre l'Algérie et les Pays-Bas, à l'invitation de la Fédération des Alliances françaises aux Pays-Bas et en liaison avec l'ambassade d'Algérie.
Fatéma Bekhaï, Maïssa Bey, Mourad Djebel et Hamid Grine étaient visiblement heureux de se trouver là, dans un double paradoxe. Le premier, parce que cette histoire a été commémorée en français, si loin du pays de Voltaire et de Victor Hugo. Le second, parce que la séance inaugurale s'est tournée vers la littérature algérienne aujourd'hui. Evelyne van Tinteren, présidente de la Fédération, formidable femme, active et passionnée dont l'activité à plein temps est entièrement bénévole, a tôt fait de nous brosser une explication somme toute logique. Avec des chiffres éloquents à la clé sur la fédération néerlandaise des Alliances françaises aux Pays-Bas, qui compte 24 structures, pour 11000 membres. «C'est intéressant, dit-elle, qu'il y ait de plus en plus d'étudiants qui se rapprochent de la langue française. Dans certaines filières, la connaissance du français s'avère primordiale. Je pense, par exemple, à l'activité hôtelière. Il y a de plus en plus de gens qui, pour leur travail, doivent connaître cette langue, et ils se tournent vers l'Alliance française. Maintes entreprises font appel à nous, il y a une vraie demande et on a développé des cours pour débutants».
Une langue pour la vie active donc, mais aussi pour communiquer. En dépit des distances, au cours de cet après-midi chaleureux, devant un public féru de littérature algérienne, la patrie de l'Emir Abd El Kader a semblé si proche. «On souhaite se connaître davantage, espère la présidente. L'échange est important pour s'apprécier et, inch'Allah, vivre dans un meilleur monde pour nous tous. Sincèrement, on ne peut pas faire autrement pour notre avenir commun sur cette terre». Pour elle, l'Alliance française offre simplement «un outil qui n'appartient pas à la France, mais aux francophones et à la francophonie. On apprend à partager avec des personnes d'autres cultures qui ont cette langue en commun». Un discours somme toute relativement singulier en zone anglosaxonne. Evelyne van Tinteren n'en démord pas : «On a besoin d'une Europe ouverte. Chaque langue, chaque dialecte est important. Si je comprends un Français lorsqu'il parle anglais, je le comprends parce que j'ai étudié sa culture». Selon elle, le Néerlandais connaît l'Algérie : «Aux Pays-Bas, on sait que l'Algérie est à deux heures d'avion, c'est à côté !"
De nombreux auteurs traduisirent et/ou adaptèrent Tout le monde sait situer ce pays. Nous avons une population maghrébine, composée de Marocains, de Tunisiens et d'Algériens présents depuis deux ou trois générations. On habite ensemble, comme avec les Turcs, les Grecs… L'interculturel, c'est important, et la majorité des Néerlandais le vit bien». L'Algérie est pourtant peu représentée aux Pays-Bas. Madame Nassima Baghli, ambassadrice d'Algérie, parle d'à peine de 4000 ressortissants recensés par ses services consulaires. Heureuse de participer à l'inauguration de cette célébration anniversaire, elle nous avouera y voir surtout le côté «humain» d'un rapprochement essentiel. Celui-ci a été parfaitement incarné par nos ambassadeurs de la plume, animateurs de cette première rencontre.
La littérature algérienne a fécondé les pages épiques de la relation avec les Pays-Bas engagée depuis quatre siècles. Fatéma Bakhaï relie ainsi la table-ronde d'Amsterdam avec l'histoire d'Alger. Elle évoque la figure de Mourad Raïs, bien connu des Algérois, puisqu'il a donné son nom à la commune de Bir Mourad Raïs, en banlieue de la capitale. C'était à l'époque des corsaires, soutenus alors par les Hollandais en lutte contre l'hégémonie de l'empereur Charles Quint. Mourad Raïs, selon diverses sources, était d'origine hollandaise, et il se serait converti à l'Islam pour devenir un des corsaires majeurs de la Régence d'Alger.
Un auditoire subjugué
Il n'en fallait pas plus pour que cette révélation subjugue l'auditoire hollandais composé largement d'étudiants et de professeurs de l'université. A Amsterdam, la littérature algérienne est étudiée et fait l'objet de mémoires de licence, de master et même de doctorat. L'auteure du roman Izoran, (Alpha éditions, Alger), rappela aussi la légende du naufrage, au large de Ténès, d'un bateau transportant des religieuses venues de Hollande (ou peut-être de femmes de moindre vertu ?). Secourues par les pêcheurs, elles restèrent dans ce village côtier, et elles ont fait souche… (Ndlr : il s'agit sans doute de l'histoire du naufrage du navire Le Banel, parti de Toulon vers Saint-Domingue avec 9 femmes à bord et qui échoua à Beni-Haoua en janvier 1802).
Vrais ou fausses, ces histoires ont le bon ton de nous faire entrer dans le monde du rêve, et n'est-ce pas le rôle de l'écriture romanesque ? Notre confrère Hamid Grine, par ailleurs romancier, révèle quelques bribes de son prochain roman. Intitulé Un parfum d'absinthe, il remémorera la dernière partie de la guerre de Libération nationale. Le personnage principal, en mal d'affection paternelle, se demande s'il n'est pas le fils d'Albert Camus. Bien sûr, il n'y a rien d'autobiographique dans ce délire, si ce n'est dans l'intention philosophique : «Je suis toujours à la recherche d'un quelque part, j'ai essayé de me chercher». De cette quête, naissent des ouvrages tous très différents : le recueil philosophique Cueille le jour avant la nuit, les romans La dernière prière, La nuit du henné, Le café de Gide ou dernièrement Il ne fera pas long feu qui sont le témoignage d'un parcours atypique et innovant, d'un échange avec les Algériens sur l'état de la société, sans grandiloquence ni effet intellectuel. Car en fait pourquoi écrit-on ? Cette table-ronde sur la littérature algérienne, loin des rivages méditerranéens, a eu cet effet inattendu de faire parler les espaces blancs de la plume vagabonde. Ce fut la thématique abordée avec tact par l'écrivain Mourad Djebel : «Bien sûr j'ai eu la tentation du silence. Je m'interroge sur la portée des mots, la parole a-t-elle un pouvoir ? C'est utile à quoi la littérature ? Le Pouvoir a un pouvoir immense sur la parole, ce n'est pas le cas de la parole sur le Pouvoir. Le poète est toujours un bouffon du roi, et maintenant on devient celui sur marché». L'auteur de Les cinq nuits de Shahrazad, et de Les paludiques (La Différence, Paris) et de Les sens interdits (Barzakh, Alger) vit à l'étranger depuis le début des années 1990. Il pose avec lucidité un point d'interrogation sur l'exil : «Partir, c'est aller vers le monde». Un peu comme si la plume devenait alors une plume collective.
L'écrivaine Maïssa Bey, sur le même registre, pense que l'activité d'écrire consiste avant tout à «arracher au silence les mots». Elle qui a toujours reculé le moment d'entrer en écriture, jusqu'aux années noires, sait, aujourd'hui, que si le silence ne se brise pas, c'est alors la «tentation de la folie qui guette, et la possibilité de la haine» tandis que chaque livre publié, au contraire, crée un lien avec un lectorat toujours inattendu. Face aux souffrances traversées par l'Algérie, rien d'étonnant, dès lors, que tous les auteurs présents à Amsterdam soient apparus dans les années 1990, dans cette crise majeure vécue par l'Algérie, pour dire qu'en dépit de tout, tout a un sens. Et qu'il faut dire, à défaut de mourir.
D'autres rendez-vous vont participer à cette compréhension mutuelle entre les cultures des deux pays (voir encadré). Une entreprise «magnifique», selon Mme van Tinteren, qui souligne le travail d'amplification et de promotion de cette action vers les autres Alliances et les universités, afin de tisser un réseau sur les cinq continents et faire connaître l'Algérie et sa culture. Ayant déjà visité l'Algérie en avril dernier, notre interlocutrice attend avec impatience la prochaine occasion : «J'ai hâte de m'y trouver de nouveau. L'Algérie m'a fait chaud au cœur, c'est un bijou, un trésor». On ne peut qu'approuver.


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