Le temps au Lido de Venise est splendide. On se baigne dans l'Adriatique. On regarde les films de la Mostra. On court visiter les expositions de Turner, de Tiapolo et l'admirable pavillon de l'Arsenal, un pavillon flottant représentant ce que la Biennale de l'Architecture appelle la Città d'Acqua, la ville d'eau. L'idée étant que Venise, Cité d'eau par excellence, pourrait exporter le concept à d'autres pays, vers les cités côtières notamment qui cherchent à prendre des espaces sur la mer. Le « modèle » de Venise est désormais exportable ! Des recherches (futuristes) indiquent qu'une architecture urbaine flottante est possible. Il y a dans le monde au moins vingt cités comme Venise construites sur l'eau. Les architectes ont transformé la nature en bâtissant sur terre. Mais s'il n'y a plus de place disponible, plus d'espace au sol, il faudra bien bâtir sur l'eau. Le « global concept » de Venise a de l'avenir. On pensait que cette ville était seulement attachée à son glorieux passé. Pour le moment, Venise s'équipe en high-tech. Les Américains tournent de plus en plus dans ses canaux, ses ponts et ses palazzos. Un film présenté à la Mostra, avec Al Pacino, avait nécessité il y a quelques mois la fermeture du pont du Rialto sur le Grand Canal pour certaines scènes de tournage. Il s'agit du Marchand de Venise, d'après l'œuvre de William Shakespeare, adaptée par Michael Radford. Italo-Américain, Al Pacino peut tout se permettre à Venise, comme demander au maire l'autorisation aussitôt accordée de tourner dans le Palais des Doges qui date du XIXe siècle ou dans la villa paladienne de Fescari (1550). Venise, qui pendant des siècles a attiré les peintres et les écrivains, succombe au charme du 7e art. Visconti déjà tournait ses grands films ici. Bientôt une autre grosse production d'Hollywood, Casanova, sera tournée dans les palais et les canaux de Venise. Disney, son producteur, n'avait qu'à prononcer le nom de Casanova pour que toutes les portes de Venise soient grandes ouvertes. Les films tirés des pièces de Shakespeare se suivent et se ressemblent. Accueilli diversement à la Mostra, le film de Radford bénéficie pourtant d'un casting de qualité. A côté d'Al Pacino, Jeremy Irons, Joseph Fiennes... Et la mise en scène est aussi fidèle que possible (costumes, décors, armes) au monde shakespearien. Le contexte historique est pour ainsi dire intact, tout est fidèle à la période, le XVIe siècle, où Shakespeare a écrit son œuvre. C'est dire que finalement ce film était assez digne du standing de la Mostra. La Mostra de Venise a accueilli aussi une autre œuvre historique de haut standing. Il s'agit du 25e film du vétéran portugais Manoel de Oliveira, Quito Imperio (le cinquième empereur). A l'âge de 95 ans (qui dit mieux ?), Manoel de Oliveira poursuit sa longue carrière et a reçu un lion d'or d'honneur. Ce natif de Porto, qui a connu le cinéma muet, a fait une œuvre continuellement passionnante, ses films sont surtout basés sur des romans du XIXe et XXe siècles. Il a exploré des thèmes iconoclastes, le théâtre, la passion, la religion, la philosophie, la mort et l'histoire. Ses dialogues sont toujours des chefs-d'œuvre littéraires. L'an dernier, à la 60e Mostra de Venise, Manoel de Oliveira a montré un film parlant, une longue réflexion sur l'art, les monuments historiques (en Grèce et en Egypte) et aussi sur la menace terroriste.