-Les pays producteurs et exportateurs de gaz sont confrontés à la nouvelle donne du gaz non conventionnel. Quelle sera la situation du marché gazier après l'émergence de cette nouvelle donne ? Il y a eu, tout d'abord, ces derniers temps un bouleversement considérable sur le marché gazier. Ce bouleversement a été provoqué essentiellement par un premier facteur lié à la baisse de la demande induite par la crise financière et économique mondiale. Cette baisse de la demande s'est répercutée tout naturellement sur les prix qui ont connu un fléchissement assez sensible. Il faut rappeler dans ce sens que le prix du gaz, qui était à un certain moment entre 18 et 19 dollars/Mbtu, se situe aujourd'hui entre 3,5 et 3,8 dollars/Mbtu. Les prix sont donc en forte baisse. Le second facteur à l'origine du bouleversement est lié non pas à la découverte du gaz non conventionnel, puisque celui-ci existait déjà, mais à son développement. Il s'agit de gaz emprisonné dans la roche qu'on appelle aussi le «gaz de schistes». Il y a donc depuis quelque temps une nouvelle technologie qui a été développée aux Etats-Unis d'Amérique qui permet d'exploiter un nouveau genre de gaz dit «non conventionnel», essentiellement le «gaz de schistes» qu'on trouve dans des couches rocheuses qu'on peut extraire moyennant une technologie se basant sur le fractionnement de la roche en utilisant beaucoup d'eau. Cette technologie s'est développée assez rapidement et les Etats-Unis d'Amérique, qui sont un grand pays importateur de gaz, notamment le GNL depuis l'Algérie, sont actuellement un grand pays producteur de gaz. En d'autres termes, les USA, qui étaient un marché important pour les pays exportateurs de gaz, sont aujourd'hui un important pays exportateur de gaz qui a devancé, l'année dernière, la Russie en termes de production, grâce à ce gaz non conventionnel. -Quel serait, d'après vous, l'impact de cette nouvelle donne du gaz non conventionnel sur la stratégie commerciale des pays arabes producteurs de gaz, dont l'Algérie ? L'impact de ce changement sur les autres pays exportateurs de gaz, à l'instar de l'Algérie, la Russie et/ou la Norvège, est évident. Ce gaz représente une très forte concurrence pour ces pays qui comptaient sur les USA, l'Europe et l'Asie pour développer leur marché de gaz et leurs exportations. Cette nouvelle donne est venue donc changer carrément l'ordre établi et pose plusieurs points d'interrogation pour le secteur du gaz, notamment dans des pays comme l'Algérie. L'une des questions importantes qui se posent est celle de dire comment faire pour développer les exportations de gaz et comment s'adapter à un marché qui est devenu, non seulement, fortement concurrentiel, mais qui se caractérise aussi par une forte chute des prix ? C'est donc une préoccupation majeure pour ces pays qui ne disposent pas, quant à eux, de ce gaz de schistes ni de la technologie développée aux USA. Cette technologie a été expérimentée dans d'autres pays en Europe qui représente un autre marché important pour les pays exportateurs de gaz. L'Arabie Saoudite, qui n'est pas un pays exportateur de gaz, s'est intéressée à cette question et a commencé à prendre contact avec des sociétés étrangères spécialisées pour développer son propre potentiel. D'après les premières indications, il semblerait que les responsables saoudiens estiment que leur pays dispose de réserves importantes à développer et que ces dernières pourraient plus que doubler par rapport aux réserves actuelles du gaz conventionnel. -La politique algérienne de commercialisation de son gaz repose sur des contrats à long terme. Pensez-vous que l'Algérie devrait s'investir aussi sur les marchés spot ? L'Algérie ne peut que prendre en considération les données du marché, ce qui se fait, ce qui est faisable et ce qui n'est pas faisable. Et c'est à partir de ces données qu'elle doit élaborer sa politique. Il se trouve que les contrats à long terme présentent un certain nombre d'avantages. Il faut les maintenir, mais sans exclure évidement le développement des marchés spot, en tenant compte, bien sûr, des circonstances.Et tout ceci dépend de la formule d'indexation qui est adoptée dans les contrats à terme, parce que la formule d'indexation peut être extrêmement importante pour un pays exportateur si, au départ, elle est bien conçue et intègre les différentes variables qui peuvent avoir une influence sur les prix. Ceci dit, il faut préciser quand même que, pour un pays comme l'Algérie, il est tout à fait normal qu'elle développe son potentiel en hydrocarbures, mais je pense aussi qu'il ne faut pas que l'attention des pays exportateurs de gaz en voie de développement soit focalisée uniquement sur le volume des exportations. Il faut, bien évidement, exporter et maximiser le volume des recettes, mais il ne faut pas oublier aussi des vérités extrêmement importantes. La première vérité consiste à dire que ces ressources sont épuisables et la demande énergétique mondiale continuera à croître de manière importante. Selon les dernières estimations, les besoins énergétiques mondiaux vont augmenter de quelque 40% au courant des 20 prochaines années. C'est énorme ! Et pour couvrir ces besoins, le gaz naturel aura un rôle important à jouer. Pour l'Algérie, l'autre donnée à prendre en considération est la forte croissance prévue de la demande interne. Il est donc impératif de prendre en considération, dans l'élaboration de toute politique, l'importance du volume des exportations. L'autre élément, à ne pas perdre de vue, est celui qui consiste à dire qu'à côté des sources d'énergies conventionnelles (les énergies fossiles, le charbon et le gaz naturel), il y a aussi d'autres sources d'énergies heureusement renouvelables qui sont, elles, heureusement propres, qui se développent également rapidement aux USA, en Europe et dans d'autres pays. L'Algérie a la chance d'avoir un important gisement solaire à développer. Les nouveaux programmes régionaux ou interrégionaux dans la zone méditerranéenne de développement des énergies renouvelables (le plan solaire méditerranéen, le Desertec et le Transgreen) placent l'Algérie au cœur des initiatives.