Autant il y a lieu de louer (ça n'arrive pas souvent) le réflexe professionnel du service d'information de l'Unique dans la couverture du ras-le-bol des habitants des nouvelles cités de Boudouaou, lesquels, pour revendiquer le minimum de commodités à une vie décente (eau, électricité, gaz…), n'ont eu d'autre alternative que d'occuper la rue et affronter fatalement le service d'ordre, autant il faut accorder un énième carton rouge à ce même service pour avoir occulté les vives tensions qui agitent le FLN à travers plusieurs de ses mouhafadhas et kasmas, où de sérieux affrontements entre militants sont signalés. Si, en effet, la caméra, comme une grande, est allée avec un sens certain de la recherche de l'objectivité montrer l'objet de la contestation des manifestants dans cette paisible localité située à une trentaine de km d'Alger, une cité dortoir qui n'a plus que les murs décrépis, en laissant les habitants s'exprimer librement sur leurs conditions de vie impossibles, les incitant même à donner libre cours à leur détresse et à leurs critiques envers des responsables qui ont toujours les arguments qu'il faut pour se défendre, les téléspectateurs n'ont, en revanche, rien vu et rien su des événements qui minent actuellement le vieux parti unique, sinon quelques séquences de réunions au cours desquelles apparaît un Belkhadem inamovible, visiblement serein et non concerné par la vague de remises en cause de l'ordre établi, qui prend pourtant chaque jour un peu plus d'ampleur et qui s'adresse à lui en priorité. Les contestataires au FLN qui manifestent désormais à visage découvert leur droit au changement appellent cette grogne «un mouvement de redressement» pour remettre le parti sur les rails de la démocratie participative. Ce mouvement, véritable lame de fond, s'est imposé, dit-on, par lui-même compte tenu des méthodes dictatoriales en vigueur attribuées au secrétaire général du parti qui fait tout, selon l'aile dissidente, pour étouffer l'émergence d'une nouvelle élite dirigeante capable de lui faire de l'ombre. Si on en arrive aujourd'hui à exiger un directoire pour le FLN comme l'a souligné dans une lettre adressée aux militants Salah Goudjil, ancien membre du comité central, donc personnalité influente, c'est que l'atmosphère semble sérieusement viciée au sein de cette famille politique où la priorité a toujours été donnée pour préserver l'image à l'extérieur, quels que soient les clivages internes. Et voilà que ça déborde de partout, avec parfois des actes inquiétants de violence pour des raisons hégémoniques, comme cela s'est vérifié notamment à Annaba et Hydra. Assurément, ce qui se passe par les temps qui courent au FLN est loin d'être un simple fait divers ou une affaire d'égo pour se maintenir au pouvoir. Ce branle-bas de combat n'est en fait que l'illustration d'une crise ouverte qui montre, selon les spécialistes, que le système FLN, qui a donné sa substance au système politique du pays tout entier, est bel et bien en perdition. Avec une rare violence dans les termes choisis, Salah Goudjil affirme que «Belkhadem est devenu un Zaïm alors que la Zaâma est bannie. Le parti ne peut fonctionner comme une zaouia avec un cheikh et ses maqadims…» La caricature du Pouvoir est tellement vraie qu'elle ne peut s'arrêter au seul Belkhadem, même si c'est ce dernier qui est dans le collimateur. Une grave crise donc existentielle qui aurait dû susciter la curiosité de la Télévision nationale à un moment où on lui demande d'être à l'écoute de la société. Le sujet mérite une enquête qui ne se limite pas aux clichés ou aux a priori, car à travers la crise du FLN, c'est la vraie nature du pouvoir politique qui dirige le pays depuis l'indépendance qui est mise en cause et qui ouvre la porte au débat démocratique. Mais pour ce faire, il faut que l'Unique se réapproprie vite les réflexes professionnels en allant recueillir sans exception tous les sons de cloche qui traduisent la diversité d'opinions. Pourquoi ne pas donner la parole à Salah Goudjil qui se trouve être un membre actif de ce mouvement de redressement lequel fait, par ailleurs, rire Belkhadem, assuré qu'il est que le rapport de force sera, quel que soit le prix à payer, de son côté ? Vous imaginez-vous sur un plateau de télévision algérienne un face-à-face Belkhadem-Goudjil (ou un autre membre de l'opposition) invités pour parler en toute franchise des problèmes du FLN et de son avenir ? Pourquoi notre télé nous refuse-t-elle une telle rencontre qui a tout pour intéresser l'Algérien avide d'en savoir plus sur la vie politique de son pays ? A l'heure où l'opposition qui a droit de s'exprimer sur les ondes et les chaînes de télévision nationales donne l'impression de sortir quelque peu de sa léthargie, à l'image des interventions publiques (non couvertes par la télé) de Sid Ahmed Ghozali qui a dit des choses graves sur la manière avec laquelle est exercé le pouvoir en Algérie, ou de Maître Ali Yahia Abdenour qui, concernant le volet des droits de l'homme demande à Bouteflika d'«ouvrir portes et volets», à l'heure donc où on assiste à un frémissement des voix de l'opposition, il est regrettable de voir que le petit écran replonge dans ses vieilles habitudes de la censure, sans se soucier de la portée historique des thèmes politiques qui se déroulent devant lui. Faut-il croire que la liberté de ton empruntée depuis peu par la Télévision nationale pour donner plus de crédit à son JT fonctionne à deux vitesses ? A chacun de tirer sa propre conclusion…