Deux orchestres symphoniques réunis, plus de 90 musiciens et Zahia Ziouani à la baguette. Si l'on vous demande comment des sons peuvent convoquer des scènes et des personnages, répondez que la musique est vraiment le cinéma de l'âme. Ainsi, jeudi soir, sur la scène de la salle Mahieddine Bachtarzi du TNA, chaque imagination présente a pu réaliser son film intime. On a cru voir ainsi des corridas rencontrer des fantasias, des Andalouses mystérieuses croiser des Algériennes secrètes, des navires phéniciens voguer le long des côtes, des vendettas furieuses alterner avec des amours sereines, de l'émotion courir sur des routes d'aventure, des castagnettes aiguicher des qarqabos… Zahia Ziouani a réussi à concocter un Hommage à la Méditerranée qui valait sa légèreté d'écumes et son rythme de ressac marin. Elle s'est assurée pour la cause de la réunion de partitions pétillantes, à même d'incarner cette mer qui, seule, peut se targuer d'être la mère du monde : une danse espagnole de Manuel de Falla, extraite de l'opéra La Vie brève ; le Poème pour violon et orchestre d'Ernest Chausson ; deux pièces de Camille Saint-Saëns (Introduction et Rondo Capricioso et la Danse Bacchanale, extraite de l'opéra Samson et Dalila). Ajoutez là-dessus la présence de Cheikh Khaldi, avec son magnifique Bakhta et le thème musical kabyle Yemma Gouraya, réécrits par Rachid Saouli. Si Camille Saint-Saëns était chez lui, dans la salle de son ami Mahieddine Bachtarzi, avec lequel il découvrit les mélodies qui lui permirent entre autres de composer La Suite algérienne, plus étonnante était la programmation de Petr Illich Tchaïkovsky avec ses Variations sur un thème rococo pour violoncelle et orchestre. Mais Zahia Ziouani a montré que le grand maître russe s'intégrait parfaitement à l'ensemble et qu'il était en quelque sorte le plus méditerranéen des musiciens slaves. L'autre performance de cette dame, qui a su garder ses allures enfantines, réside sans doute dans sa brillante direction d'orchestre, alliant la poigne des plus énergiques maestros à une douceur proche des subtilités et transitions. Réunir deux orchestres en un mouvement commun où le moindre doigté de musicien a son importance, le faire en ne disposant que de peu de temps de répétition (moins d'une semaine), relevait au moins de l'audace, sinon de la témérité, qualités toutes méditerranéennes s'il en faut. La fusion de l'orchestre symphonique Divertimento, dont elle est la directrice artistique en région parisienne, avec l'Orchestre symphonique national algérien, dont le directeur, Abdelkader Bouazzara, figurait ici dans le corps des violonistes, s'est avérée une belle réussite à laquelle le professionnalisme des musiciens et leur évidente complicité a grandement participé. Cet exemple convivial et élevé de partenariat algéro-français devrait d'ailleurs inspirer d'autres domaines d'activités… Cela dit, rien ne naît du néant et ce concert rare est le fruit d'un travail que Zahia Ziouani a entrepris depuis au moins 2007, date à laquelle Zahia Ziouani a été nommée chef d'orchestre principal de l'Orchestre symphonique national algérien. Sa volonté de renouer par son art avec la terre de ses ancêtres vient compléter une carrière déjà admirable à son âge (elle est née en 1978), ponctuée déjà de 380 concerts en tant que chef d'orchestre et une quantité impressionnante de distinctions et d'actions pour la popularisation de la musique classique universelle. Le public enthousiaste, assez discipliné (encore un effort cependant car le silence est d'or en musique), a bien ressenti son engagement personnel dans le spectacle, partagé pleinement par les musiciens et les solistes émérites Jean Marc Phillips-Varjadébian (violon) et Raphaël Pidoux (violoncelle). Organisé par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel, sous le patronage de la ministre de la Culture, et soutenu par l'ambassade de France et plusieurs entreprises mécènes, ce voyage méditérranéen par la musique est à inscrire parmi les grands moments de la saison culturelle. Retransmis par radio, il est regrettable qu'il n'ait pas eu l'opportunité d'un direct sur une des chaînes de la télévision nationale. Canal Algérie aurait été indiquée en l'occurrence.
