L'irréversible arrivée en masse de femmes ayant bénéficié d'une formation supérieure sur le marché du travail aura, à n'en pas douter, des répercussions, aussi bien, sur la vie des entreprises que sur celle plus large, de la société algérienne. Djamila Fernane (*) Si l'investissement de l'enseignement supérieur par un nombre impressionnant de jeunes femmes a, à l'évidence, normalisé la présence de l'élément féminin dans les divers rouages de la formation universitaire (enseignement, encadrement pédagogique, encadrement administratif, etc.), leur relative percée professionnelle n'a, paradoxalement, pas fait disparaître les inégalités entre hommes et femmes, notamment, lorsqu'il s'agit d'accéder aux sommets des hiérarchies. Le constat que la réalité des faits nous a contraints d'établir est on ne peut plus clair : dans pratiquement toutes nos universités, force est de constater que plus on s'élève dans la hiérarchie et plus les femmes se font rares et largement minoritaires, pour ne pas dire inexistantes, aux plus hauts postes de responsabilité. Un non sens, mais aussi et surtout, une véritable injustice très mal vécue par les femmes qui éprouvent d'énormes difficultés à franchir ce véritable « plafond de verre » dressé par des administrations machistes, en dépit du fait qu'elles représentent, au minimum, 50% de la population active. Cet amer constat de l'inégalité des chances des femmes en matière d'accès aux carrières valorisantes et celui, sans doute encore plus navrant de leur très faible présence aux postes de décisions, aussi bien, dans les entreprises que dans les institutions et organisations publiques, posent avec acuité les questions centrales de justice, d'égalité à compétences égales entre les sexes et, bien entendu, celle de l'efficacité économique à laquelle elles auraient pu contribuer si on leur avait offert la chance d'accéder aux postes de commandes auxquels leurs diplômes et leur expérience les prédestinent. Il est intéressant d'identifier le faisceau d'éléments qui entre dans la composition de ce «plafond de verre» qui entrave la promotion hiérarchique, pratiquement à tous les niveaux organisationnels. Divers obstacles artificiels auxquels se mêlent de tenaces préjugés socioculturels (prétendue infériorité génétique de la femme, divers stéréotypes, le machisme, etc.), mais aussi, structurels (organisation du temps de travail défavorable aux femmes, difficultés de transport, manque d'encouragement etc.) et, il faut le reconnaître, l'adoption par certaines universitaires de valeurs qui ne favorisent pas l'estime et le compter-sur-soi, entravent la percée des femmes auxquelles on a pourtant donné la formation requise pour occuper de hauts postes de responsabilité. Il n'y a pas de discrimination au niveau du contenu des formations, les hommes et les femmes recevant chacun dans sa spécialité les mêmes enseignements. Certains évoquent l'hypothèse, selon laquelle, la femme n'arriverait jamais à organiser son temps et combiner comme il se doit ses responsabilités familiales et ses engagements professionnels, ce qui devrait d'emblée, la dissuader de postuler à un haut poste de responsabilité. Un postulat vite contredit par les réalités du terrain, à l'exemple de ces femmes entrepreneurs dont les statistiques en notre possession nous apprennent que les trois quarts d'entre elles sont mariées, 84% ont un ou plusieurs enfants, sans pour autant souffrir d'un déchirant choix à faire entre la famille et l'activité professionnelle, la réalité faisant au contraire apparaître un très sain équilibre entre les exigences d'épouse, de mère et d'entrepreneur. Entraves à la promotion des femmes Pour justifier et expliquer ce phénomène, on a souvent évoqué l'hypothèse d'un retard historique dans l'accès des femmes à l'éducation et aux diplômes et la rareté de celles-ci dans les viviers de la formation supérieure. Ce qui était effectivement vrai durant les premières années de l'indépendance ne l'est, évidemment, plus de nos jours. En effet, si à peine, une femme sur trente travaillait en 1966, souvent avant le mariage ou après le divorce, nous apprennent les statistiques de l'époque, les choses ont, à l'évidence, beaucoup changé aujourd'hui, pour persister dans cette fausse certitude. Le constat largement corroboré par les statistiques est que plus 65% des diplômés de la santé, 60% de l'éducation et environ 40% des effectifs de l'administration publique sont des femmes. La croissance en nombre des femmes diplômées sorties de nos universités particulièrement prolifiques en la matière n'a, malheureusement, pas été suivie, comme on l'aurait souhaité, par un accès plus significatif aux postes supérieurs d'encadrement, reflétant un tant soit peu, cette prodigieuse percée des femmes dans nos universités. A titre d'exemple, le taux de passage des femmes du grade de maître assistant à celui, très convoité, de professeur est beaucoup plus faible que celui des hommes, et ce, indépendamment de la réalité des effectifs concernés fortement dominés par les femmes. On peut, à titre d'exemple, constater qu'à la faculté des sciences économiques et de gestion de l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, seule une femme sur les 56 enseignantes de grade de maître assistant et maître de conférences de classe A et B que compte cette faculté a pu accéder au grade de professeur. Un constat qui permet d'invalider la thèse, souvent brandie à tort, d'un prétendu retard historique et, encore plus, celle de la rareté des femmes dans la course, somme toute légitime aux postes de responsabilité auxquels leurs diplômes, acquis à force de méritoires efforts, permettent d'aspirer. Suite à une enquête conduite respectivement au niveau des secteurs de l'éducation, des banque et certains services publics, à l'occasion de la quelle nous avons interrogé une vingtaine de femmes cadres, nous avons constaté que 60% de celles qui n'ont pas encore obtenu un poste hiérarchique ou l'avancement hiérarchique convoité, souhaitent concrétiser leurs ambitions, ce qui montre, à l'évidence, que s'agissant d'avancement dans la carrière, les femmes ne sont pas moins ambitieuses que les hommes. Si elles se montrent moins ardentes que les hommes dans la course aux postes de responsabilité c'est parce qu'elles sont bien conscientes qu'il existe dans notre pays une sorte de discrimination institutionnalisée en matière qui privilégie outrageusement la gente masculine. Le processus de sélection et, dans de nombreux cas, de cooptation de femmes diplômées à des postes de responsabilité n'est, à l'évidence, pas neutre et totalement biaisé par un mode de désignation, sexué et fortement dominé par des hommes qui, à bien des égards, entravent la voie des promotions féminines. Le constat est, en tout cas, valables s'agissant de nos universités où les femmes ayant le grade de professeur, de chef de département et autres hautes fonctions, ne sont pas légions et ne sont pas prêtes de l'être au regard des préjugés et du mode de nomination totalement inféodé aux hommes. Il convient, en outre, de rappeler que l'enseignant chercheur est, aujourd'hui encore, évalué sur la base de critères tels que le nombre de publications, leur rythme et la notoriété des revues académiques utilisées, autant de critères qui contribuent à l'exclusion des femmes qui ne peuvent s'y conformer pour diverses raisons liées à la nature de femme, comme par exemple, la maternité et la prise en charge d'enfants de bas âge. Appliquées dans les entreprises de telles normes – comme par exemple la disponibilité ou les critères d'âge pour l'accès à des postes de responsabilité - contribuent à entretenir chez les managers des attentes beaucoup plus favorables aux hommes qui les conduisent à douter de la compétence et de l'engagement professionnel des femmes postulants à des postes de responsabilité. L'environnement socioprofessionnel, fait de tenaces préjugés sur l'éligibilité des femmes aux postes hiérarchiques est, tel, qu'il est très difficile pour une universitaire algérienne de se frayer un chemin vers les sommets de la hiérarchie, ceux-ci semblant être, comme par fatalité, strictement réservés aux hommes. Ce tableau peu reluisant de la trajectoire semée d'embûches à laquelle sont confrontées les femmes diplômées en quête de responsabilité n'occulte en rien les admirables réussites de certaines universitaires, de plus en plus nombreuses à accéder aux sommets des hiérarchies. Elles sont d'autant plus admirables que leur ascension a été beaucoup plus pénible que pour les hommes. Les exemples de femmes parvenues à occuper les fonctions de cadre supérieur, professeur d'université ou manager principal, témoignent de la grande diversité des réactions et des stratégies adoptées par ces dernières tout au long de leurs carrières pour s'affranchir progressivement d'un environnement peu favorable à leur épanouissement professionnel. Il n'y a, certes, pas de formule idéale pour réduire ces inégalités criantes qui sont le fruit de nombreuses déterminations, mais le moment est, nous semble-t-il, d'entamer un débat aussi large que possible sur cette question centrale. Afin qu'il soit serein et fructueux, le débat devrait être alimenté en permanence en données objectives fournies par la recherche scientifique, l'objectif étant de lancer les bases d'une nouvelle perception de l'emploi féminin en Algérie, d'ouvrir de larges perspectives à la promotion des femmes aux postes d'encadrement et de pousser les employeurs à repenser la manière dont ils formulent les politiques des ressources humaines, aujourd'hui injustement défavorables aux femmes. Nous pouvons souhaiter que les organisations publiques et privées soient nombreuses à s'impliquer dans ce débat précurseur d'un nouveau projet de société. ((*) Post-graduante en management. Université de Tizi Ouzou