Le docteur Elias Zerhouni ne parlait pas anglais quand il fit le voyage d'Alger vers les Etats-Unis en 1975. Il dirige aujourd'hui les Instituts nationaux de la santé, plus grands centres de recherche médicale au monde, au budget annuel de 28 milliards de dollars. A la fin de ses études de médecine à Alger, il envisageait la France. « Ma famille me l'a déconseillé, on m'a dit, que c'était trop dur, que j'allais à l'échec. Aujourd'hui, des jeunes d'origine algérienne se révoltent en France. Si j'avais fait ce choix, mes enfants seraient probablement en train de jeter des pierres à la police en ce moment », dit le docteur Zerhouni en souriant. Mais le patron de la recherche publique américaine, 54 ans, débarqué il y a 30 ans à Baltimore avec 369 dollars en poche, ne plaisante qu'à moitié. « Je pense que le rêve américain est réel. A la différence d'autres pays, ici, si vous démontrez vos compétences, vous êtes reconnu. » Il dresse la longue liste des obstacles à sa réussite, avec le même enthousiasme que s'il évoquait sa dernière partie de tennis. « Je suis venu ici par moi-même, pas d'ami, pas de famille, je n'ai pas fait Harvard, les grandes écoles, je n'ai pas de diplôme supérieur américain, et les élites peuvent bien dire que je ne suis pas comme elles. Je ne suis pas un politicien, je n'ai pas de réseau, d'ailleurs je suis indépendant, ni démocrate ni républicain. En plus, je suis musulman, tous les préjugés auraient pu jouer contre moi. » Comment expliquer qu'en 2002 le président George W. Bush le choisisse parmi une centaine de candidats pour remonter les NIH, alors en crise d'identité, sans patron depuis plus de deux ans ? Et comment obtient-il, presque comme une formalité, un vote de confirmation du Congrès d'ordinaire si difficile ? « Je dirais que ma nomination s'est faite au mérite, parce que j'avais démontré et accompli des choses. Ce n'est pas l'image qui fait la différence en Amérique, c'est la substance », poursuit-il en jetant un coup d'œil aux notes préparées pour son discours. Si le docteur Zerhouni se défend d'être une « bête » politique, il ne peut nier son talent en société. Hilare, il confie que le président Bush aussi oublie systématiquement le « s » de « Johns » quand il veut parler de Johns Hopkins University, déclenchant l'hilarité dans la salle. Avant de prendre la tête des 27 Instituts de recherche publics des NIH (17 000 employés), M. Zerhouni était directeur de l'école de médecine de Johns Hopkins University. Radiologue et inventeur, il détient 8 brevets lui assurant une fortune personnelle de plusieurs dizaines de millions de dollars. Né à Nédroma en 1951, marié avant son départ pour l'Amérique à une pédiatre algérienne, Nadia, père de trois enfants et naturalisé américain, il attribue une partie de sa réussite à sa double culture d'Algérien formé à la française, endurci à l'américaine depuis son premier job aux urgences de l'hôpital de Baltimore. « La culture française a été extrêmement importante dans ma croissance en Amérique. C'est vrai ! », s'exclame-t-il en français. « La méthode cartésienne pour aborder un problème se combine extrêmement bien avec le pragmatisme américain. » Le docteur Zerhouni revient sur la situation en France, qui lui tient à cœur. « Les préjugés existent dans toutes les sociétés, mais certainement plus fortement en Europe qu'aux Etats-Unis. En Europe, il y a une volonté d'exclusion, ici davantage une volonté d'inclusion, même si, tout n'est pas si simple. »