C'est lui qui oriente la recherche biomédicale mondiale. Elias Zerhouni dirige depuis six ans les National Institutes of Health aux Etats-Unis, qui comptent 27 instituts et centres de recherche. Son budget : 27 milliards de dollars, dont plus de 80% sont destinés à financer 50 000 bourses et aides, pour plus de 325 000 chercheurs de tous les Etats du monde. De l'Algérie où il est né, et où il revient régulièrement, il connaît bien les forces et les faiblesses de la recherche. Il a accepté de répondre à El Watan sur la stratégie à adopter pour former et garder les meilleurs scientifiques. Quelles sont les étapes les plus marquantes de votre mandat en tant que directeur de la recherche médicale ? D'abord, je dois vous dire l'honneur qui est le mien de diriger une telle institution. Au cours de ses 121 ans d'existence, les NIH ont considérablement amélioré la santé de toute l'humanité. Bien sûr, la nature elle-même nous enseigne que, pour durer, les choses doivent changer, s'adapter à un nouvel environnement. Les grandes institutions n'y font pas exception. Et aujourd'hui, nous sommes justement confrontés à un environnement en mutation. Certains de ces changements sont incroyablement positifs - telle que la portée de plus en plus grande de la connaissance scientifique. D'autres, incluant le fardeau de plus en plus lourd des maladies chroniques et la ténacité des maladies infectieuses à travers le monde, présentent d'énormes défis. Ma tâche, en tant que directeur, est d'aider les instituts nationaux de santé à s'adapter à cet environnement en mutation et de répondre concrètement à ces défis. Par exemple, pendant mon mandat, les NIH ont élargi leur approche de la santé et de la maladie. Une de nos initiatives, le « Projet pour la recherche en neurosciences », nous fournit des outils pour mieux gérer les pathologies du système nerveux. Nous avons, par ailleurs, pris des mesures pour garantir que les résultats de toutes les recherches soutenues par les NIH soient rapidement disponibles pour le public. Nous avons quadruplé notre soutien à la recherche et à la formation internationale et entrepris d'importants changements internes pour aider les NIH à s'adapter aux mutations sociales et scientifiques de l'environnement. En prenant par exemple des mesures pour garantir que les jeunes scientifiques reçoivent tout le soutien dont ils ont besoin pour réussir dans l'environnement actuel très compétitif. Tout cela s'inscrit dans ce qui est probablement une de mes réalisations les plus importantes : la feuille de route pour la recherche médicale, un cadre stratégique qui facilite la recherche pluridisciplinaire. Qu'avez-vous fait lors de vos récentes visites en Algérie ? Je suis venu en juin dernier pour la Conférence ministérielle sur la recherche pour la santé dans la région africaine, une réunion préparatoire pour le forum ministériel mondial pour la recherche et la santé, qui se déroulera cette année à Bamako, au Mali. S'il est certainement vrai que la recherche biomédicale est devenue une aventure internationale, il est également vrai que la connaissance locale - de la culture comme des besoins en santé - doit servir de pont entre la connaissance scientifique mondiale et ses applications sur le terrain, localement. J'étais également venu en 2006, en tant que témoin de la signature d'un accord « science et technologie » entre les Etats-Unis et l'Algérie. Puis, une seconde fois, afin de rassembler des informations sur l'état actuel des établissements de santé et de recherche en Algérie. Cette information nous aidant à déterminer les meilleurs moyens de travailler avec les scientifiques algériens, dans un même but, celui d'améliorer la santé les citoyens et l'état de ses institutions médicales. A cette fin, j'ai emmené avec moi les membres du personnel des NIH qui travaillent pour développer les liens entre les scientifiques des NIH et d'Afrique du Nord. Ensemble, nous avons visité les établissements, nous avons parlé avec des dizaines de personnes et nous avons discuté de projets potentiels futurs. Depuis, nous travaillons pour construire une solide base de travail. Comment pouvez-vous aider à dynamiser la recherche biomédicale en Algérie, aujourd'hui léthargique ? D'abord, je ne pense pas que le programme de recherche biomédicale en Algérie soit « léthargique ». Il est encore à un stade relativement précoce de son développement. Aux Etats-Unis, cela a pris presque un siècle pour que la vision des leaders politiques et scientifiques soit traduite dans la réalité de la recherche scientifique en général, et de la recherche biomédicale en particulier. Alors, qu'est-ce que je suggérerais pour l'Algérie ? D'adopter un modèle qui a fait ses preuves. D'abord et surtout, à l'image de l'exemple américain, les décideurs doivent prendre conscience de l'importance de la recherche, et avoir une vision soutenue de son futur. Ensuite, cette vision doit être traduite dans un soutien institutionnel et financier à long terme. Sans un bon budget et sans excellentes universités et un personnel scientifique bien formé, vous ne pouvez pas avoir de programme de recherche fort. En même temps, vous avez besoin de mécanismes qui distribuent ces fonds aux scientifiques sur la base du mérite individuel. Dans ce procédé, j'accélérerais l'ouverture aux échanges internationaux, de même que j'accorderais une attention particulière aux besoins des jeunes scientifiques. Que pourraient faire les autorités algériennes pour freiner la fuite des cerveaux ? En fait, je dirais que la fuite des cerveaux, si cela existe réellement, est mieux appréhendée en tant que chance plutôt que problème. C'est une question de perspective. Une fuite des cerveaux suggère que de riches ressources existent déjà. Etant donné la nature de la recherche biomédicale aujourd'hui, les mouvements de scientifiques entre les pays et les institutions servent uniquement à faire d'eux de meilleurs scientifiques. Le défi, alors, est de déterminer au mieux comment les meilleurs chercheurs algériens reviennent en Algérie. Plus que ça, comment l'Algérie peut devenir un pays qui attire les meilleurs scientifiques pour la formation et la recherche, sans regarder leur pays d'origine. L'histoire de la médecine est riche d'exemples de docteurs et de scientifiques qui suivent les innovations où elles sont le mieux exprimées. Si l'Algérie espère attirer ses scientifiques ayant suivi une formation et ayant eu une expérience à l'étranger, elle doit continuer à élever le niveau de ses universités et de ses autres établissements de recherche. Ensuite, si elle souhaite devenir un réel centre international pour la recherche biomédicale, elle doit ouvrir les portes de ses institutions à toutes les personnes qualifiées. Les chercheurs algériens aux Etats-Unis sont-ils prêts à construire des ponts avec leur pays d'origine ? Construire des ponts avec les chercheurs algériens est pour moi une préoccupation de longue date. Cette année, justement, j'ai participé à des réunions qui m'ont donné l'opportunité de discuter de cela avec des scientifiques nord-africains dans la région de Washington DC. Nos échanges ont commencé au printemps dernier lors d'un dîner organisé chez H.E. Aziz Mekouar, l'ambassadeur marocain aux Etats-Unis, et qui a permis de réunir plus de trente chercheurs intéressés par l'idée de construire des ponts. Notre discussion a conduit à l'ouverture de la réunion annuelle de la société américano-marocaine pour les sciences de la vie à tous les chercheurs de la région du Maghreb et à une session spéciale « Relier le Maghreb ». J'interprète cela comme un bon signe pour l'avenir. Quel est votre message aux jeunes scientifiques algériens ? Mon message commencerait par un message aux scientifiques déjà établis : soutenez vos jeunes scientifiques ! Les étudiants talentueux, vos futurs scientifiques potentiels, ne choisiront une carrière dans la recherche que s'ils savent que des opportunités de formation et de recherche existent en Algérie. Maintenant, aux jeunes gens qui envisagent une telle carrière je leur dirais : prenez des risques, posez-vous des questions, suivez votre curiosité et votre passion sans vous soucier de ce que vous disent les autres. La meilleure science se trouve à la lisière de l'ignorance. A la frontière entre le savoir et le non-savoir, nous sommes tous ignorants. C'est ce qui rend la science si excitante : personne ne peut être sûr de ce qu'il va trouver aux horizons inexplorés. Vos questions sont aussi valides que celles de n'importe quel scientifique émérite. Et vos méthodes expérimentales apporteront la lumière sur ces horizons. Il y a une grande satisfaction intellectuelle dans la recherche. Mais il y a bien plus dans la stimulation mentale. Je crois que la recherche biomédicale apportera les réponses aux grands défis mondiaux d'aujourd'hui. Si nous espérons trouver ces réponses, nous aurons besoin d'autant de jeunes gens brillants et motivés que nous pourrons en trouver pour entreprendre ces recherches. Et à côté de cette satisfaction intellectuelle, je parlerais de l'épanouissement personnel qui est le nôtre quand on sait que notre travail contribue quelque part, pas seulement à l'amélioration de l'humanité, mais à celle de la planète. J'encourage tous ceux qui y sont enclins à explorer les opportunités de la recherche scientifique. Et je suis impatient d'apprendre les choses remarquables que vous allez découvrir dans un futur pas si lointain…