(…) Ce n'est pas pour rien que tout un chacun le qualifiait de visionnaire, et ce n'est pas pour rien que son nom est à ce jour synonyme du savoir, connu et reconnu au-delà des frontières algériennes. Cette plume qui se révéla dés 1919, alors que Ferhat Abbas est étudiant en pharmacie, âgé à peine de 20 ans, découvrant l'injustice vécue par son peuple et qu'il s'engagea à dénoncer et à combattre (…) Un jeune homme exceptionnel, en effet, qui fut président de l'association des étudiants d'Afrique du Nord, portant la toque d'Astrakan symbole de son identité musulmane et clin d'œil à celui qu'il a toujours admiré, Kemal Atatürk qui construisit la grande Turquie moderne. Car ce jeune étudiant avait les yeux rivés vers ce grand pays dont il rêvait pour son peuple le même destin : la démocratie. (…) 1938 est une date clé dans l'itinéraire politique de Ferhat Abbas, qui d'une part crée son premier parti politique l'Union populaire algérienne (UPA), et d'autre part, et c'est le plus important, il signe sa rupture avec l'élite politique française d'Algérie. Désormais, l'homme cherche le moyen de libérer son peuple du joug colonial, en d'autres termes l'indépendance du pays pure et simple (…) Ce sont les événements douloureux du 8 Mai 1945 et ses milliers de morts indigènes qui sonnèrent le glas de l'idéal d'égalité. Ferhat Abbas, qui reculait l'échéance du bain de sang, ne pouvait se relever indemne en voyant son peuple mourir un jour de fête, celui de la fin de la guerre mondiale, et celle du nazisme. La flamme nationaliste qui vivait en son cœur depuis ses années étudiant, n'a fait que se raviver et déterminer l'homme que désormais la lutte armée était inévitable. De plus, accusé à tort par l'administration coloniale d'avoir provoqué ces évènements, Ferhat Abbas subira lui-même l'arbitraire par 11 mois de prison, mis en sûreté, prêt à être exécuté. Mais il a été prouvé que ses mains étaient nettes de sang. (…) Le 1er novembre 1954 ne le surprit pas, comme il le dit lui-même, tant il était préparé à l'éventualité de la lutte armée, dans le cas où la France refuserait l'autonomie. Il dissout sans regret son parti l'UDMA et adhère et rejoint le Front de libération nationale (FLN) sans hésitation. Au congrès de la Soummam le 20 août 1956, il est désigné pour siéger au Conseil National de la révolution algérienne (CNRA). En 1957 il est membre du Comité de coordination et d'Exécution (CEE). A la même époque, il parcourt le monde pour expliquer les raisons de la guerre d'Algérie. En 1958, troisième date-clé de l'itinéraire politique de Ferhat Abbas, il est élu à l'unanimité par les hommes de novembre, président du Gouvernement Provisoire de la République algérienne (GPRA). Le CNRA le maintient à ce poste jusqu'en août 1961. A l'indépendance du pays en 1962, ses collègues l'ont porté à la présidence de l'Assemblée nationale constituante. Un itinéraire politique des plus glorieux au service de sa patrie mené d'arrache pied et avec abnégation de 1920 à 1962. En 1963, il démissionne de la présidence de l'Assemblée nationale, refusant de soutenir l'atteinte à la démocratie (…) Cette contestation des plus légitimes lui valut la prison dans le Sud algérien et la résidence surveillée, sous le règne des deux hommes précités, passeport et biens confisqués (…) Privé de sa liberté durant près de vingt ans, l'homme illustre reprend sa plume et se remet à écrire. Cette écriture, comme dit plus haut, qui était l'essence même de sa vie. Après avoir donné à son peuple Le jeune Algérien en 1931 et La nuit coloniale en 1962, Il publie vers la fin de sa vie trois ouvrages qui auront un succès considérable, Autopsie d'une guerre (1980), Le Jeune Algérien (édition 1981) et L'indépendance confisquée (1984). A la mort de Houari Boumediene, la résidence surveillée est levée et Ferhat Abbas retrouve la liberté. Il est alors âgé de 80 ans (…) Ferhat Abbas ne pourra jouir longtemps du bonheur d'une vie libre. Bien malade, conséquence des terribles épreuves qui lui ont été infligées, il quitta ce monde le 24 décembre 1985, entouré des siens à son domicile, à Kouba, sur les hauteurs Alger. Mais l'homme illustre pouvait-il partir, nous quitter, sans nous laisser un dernier message ? Assurément non, la preuve en est. Dans cet ouvrage exceptionnel, publié à titre posthume et laissé pour la postérité, l'homme politique algérien rappelle à ses compatriotes que «le présent ne saurait impunément ignorer le passé».Cet ouvrage qu'il appelle cahier et qui se veut un programme politique pour l'Algérie de demain, est destiné, dit-il, à son fils, aux jeunes de la nouvelle génération, de la post- indépendance, aux hommes et aux femmes de son pays, «avec l'espoir qu'un jour une Assemblée nationale constituante, librement élue par le peuple pourra l'examiner, le critiquer et peut-être en retenir quelque chose…» (…) Ce livre publié à titre posthume, dernier message de l'homme illustre à son peuple avant le dernier voyage, et qui se voulait, un adieu aux Algériens, et à ses amis du Maghreb et de France, rend, au contraire, Ferhat Abbas, plus présent que jamais dans son pays, près de ce peuple qu'il avait en idéal. Et sa pensée clairvoyante, une voix à écouter et à méditer avec le plus grand respect, non seulement pour la génération actuelle, mais aussi pour toutes celles à venir. - Extraits de la préface signée par Leïla Benamar Benmansour (*)Auteure de Ferhat Abbas, l'injustice (Alger-Livres éditions 2010)