Pour le fondateur et président du mouvement Kifaya, Abdelhalim Kendil, le pays vient de vivre une mascarade électorale lors des législatives d'avant-hier. Il estime que le régime de Moubarak a commis un crime contre le peuple en organisant une fraude généralisée pour une partition jouée d'avance. Son mouvement compte mobiliser la rue pour exiger l'annulation des élections et créer un Parlement parallèle. -Quel commentaire faites-vous après les élections législatives ? Ce n'est pas une surprise. Pour nous, dans le mouvement Kifaya, l'histoire des élections en Egypte est terminée avec la révision de la Constitution du pays l'an dernier, notamment dans son article 76 qui dit que pour être candidat aux élections présidentielles, il faut être dans un parti politique. Cet article interdit aux candidats indépendants de se présenter à la présidentielle. Alors, tant que cet article est maintenu, il est impensable de parler d'élection dans ce pays. Pour ce qui est des élections législatives, c'est devenu une tradition que la fraude soit généralisée et de manière vulgaire. Les élections sont devenues des désignations. Même si le scrutin est une simple formalité, comme je viens de le dire, il s'est déroulé dans un climat de violence extrême. Les résultats sont donnés d'avance et l'opération de vote n'est qu'un habillage qui ne trompe personne. Les quotas sont fixés aussi pour les partis d'opposition officielle que le pouvoir s'est taillé sur mesure. Nous avons assisté à une vraie mascarade qui confirme encore une fois que nous sommes face à un régime fermé qui a tourné le dos aux aspirations du peuple égyptien. Nous, dans le mouvement Kifaya, nous avons mis en garde contre cette dérive. Ce qui s'est passé le jour du vote nous a donné raison, à chacun de tirer les leçons qui s'imposent. -Les Frères musulmans ont subi une déroute historique : aucun siège, seuls 18 candidats sont en ballottage pour le second tour. Comment expliquer cette débâcle ? Il fallait s y attendre. Là aussi ce n'est pas une surprise. Cependant, les résultats ne reflètent pas le vrai poids des Frères musulmans, ils demeurent la première force politique d'opposition. Lors des dernières législatives, en présence de magistrats dans la surveillance des élections, ils avaient obtenu 88 sièges, mais cette fois-ci leur poids au sein du Parlement sera insignifiant. Ils pourront avoir cinq sièges lors du second tour, mais dans la réalité, et il faut l'admettre, l'organisation des Frères musulmans reste la plus influente même si le régime veut un paysage politique artificiel. Les résultats officiels ne sont pas l'expression réelle du poids politique de chaque parti, d'autant plus que le taux d'abstention a battu tous les records. -Pourquoi justement les Egyptiens ne se sont-ils pas rendus en masse aux urnes ? Avant de vous répondre, il faut corriger les chiffres avancés par la haute commission électorale qui parle de 25% de participation. C'est archifaux. Le taux de participation ne dépasserait pas les 5%. Le peuple égyptien est plongé dans une misère intenable, dans les villes comme dans les campagnes. Le régime s'est avéré incapable de solutionner tous les maux de la société, tels que le chômage, la pauvreté et la crise du logement. Au niveau politique, le verrouillage est tel qu'il est impossible d'opérer des réformes allant dans le sens de démocratiser le système politique. Donc, face à une telle situation, comment voulez-vous que le peuple se rende massivement aux urnes. Il a fait le choix du boycott parce qu'il ne fait plus confiance au système et son opposition officielle. Ce boycott massif exprime une profonde aspiration pour un changement pouvant permettre aux Egyptiens une vie digne. -Peut-on dire que le PND de Moubarak balise le terrain pour la présidentielle de septembre 2011 ? Bien évidemment, il se dote d'un Parlement croupion complètement soumis dès lors qu'il ne jouit pas d'une légitimité démocratique. Cette élection est aussi une étape marquant la domestication des partis de l'opposition officielle. Le tout, pour se permettre le maintien au pouvoir avec un même système. Le système de Moubarak s'est fait un malin plaisir d'arranger le scrutin. Il est pris en flagrant délit de fraude. Il a commis un crime contre le peuple. On a en face une bande de fraudeurs. Mais gare aux conséquences ! Le régime de Moubarak est devenu une momie pharaonique. -Que faire face à cela? Vous avez appelé au boycott des élections, envisagez-vous d'autres actions politiques ? Effectivement, nous avons appelé au boycott de cette mascarade et nous avions raison de le faire. Maintenant, le mouvement Kifaya ne restera pas les bras croisés.Nous appelons à des manifestations de rue graduelles pour exiger l'annulation de ces élections législatives et constituer un parement parallèle. Face à l'impasse politique où se trouve le pays, nous allons vers une désobéissance civile avec toutes les forces politiques militant pour le changement du régime. Nous allons tenir notre premier rassemblement devant le siège de la Cour suprême, le 12 décembre prochain, pour exiger l'annulation des résultats de cette élection. Seule une mobilisation populaire peut imposer un changement du système politique égyptien.