Le second tour des élections législatives égyptiennes a connu de fortes perturbations et des dépassements dans plusieurs circonscriptions du pays, et ce, malgré le boycott de l'opposition. Le Caire (Egypte) De notre envoyé spécial Cette deuxième mi-temps a été fortement boudée par les Egyptiens. «La participation n'a pas dépassé 5%», estiment des commentateurs cairotes.Mis dans l'embarras après le retrait spectaculaire de l'organisation des Frères musulmans et du parti Wafd entre les deux tours et les critiques qui fusent de partout, le régime du Caire a tenté désespérément de sauver la face. Dans certaines circonscriptions électorales, la fraude a été en faveur de certains candidats indépendants et de ceux du parti de Tagamoû (le rassemblement), aux dépens de certains candidats du Parti national démocratique (PND) au pouvoir, mais qui se sont retirés. Ces derniers, qui avaient assuré que le premier tour s'est déroulé «dans de très bonnes conditions», découvrent subitement la fraude. La lutte a fait rage également dans les circonscriptions où les candidats du PND étaient seuls à pourvoir les sièges. Des batailles rangées ont été enregistrées, notamment à Alexandrie où seuls les candidats du PND étaient en course pour les 14 sièges en jeu. Il faut rappeler que le parti de Moubarak a présenté 2 à 4 candidats dans de nombreuses circonscriptions. Au second tour, pour 114 parmi les 283 sièges à pourvoir, il n'y avait que des candidats du PND. Ainsi, le parti au pouvoir est crédité de 323 sièges avant même d'entamer le second tour, sans compter les sièges restants où il est également en course. Les premiers décomptes le créditent de 400 à 450 sièges dans la nouvelle assemblée ; le reste sera réparti entre «des partis microscopiques et quelques indépendants».Par ailleurs, des voix s'élèvent pour exiger l'annulation du scrutin et demandent au président de dissoudre la nouvelle Assemblée. Pour l'ancien président du Conseil d'Etat, Yahia Hammed El Gamal, «le Conseil du peuple (Parlement) est frappé d'une illégitimité constitutionnelle». Il avance trois arguments essentiels : «La cour administrative a jugé que dans de nombreuses circonscriptions, la fraude a été massive, se basant sur les rapports des magistrats chargés de surveiller le scrutin, et elle a exigé l'annulation du vote. Son jugement est effectif et exécutoire dès qu'il sera prononcé. Ce serait fouler aux pieds la Constitution si on ne dissout pas ce Parlement. Et ajoutez à cela que nous sommes le seul pays au monde où la communauté égyptienne établie à l'étranger ne vote pas. Ce sont plus de 8 millions d'Egyptiens qui sont privés de ce droit à la citoyenneté. Mais le vrai problème qui rend cette élection caduque réside dans le fait qu'elle s'est déroulée sous état d'urgence.» Au pouvoir depuis trente ans, le PND assure une hégémonie au Parlement. Un pouvoir sans partage. Toutes les autres forces politiques, libérales ou islamistes, sont mises hors du jeu politique en Egypte. Le passage en force du parti au pouvoir lors de cette consultation électorale, la plus controversée de l'histoire du pays, ne sera pas sans conséquence. «Il renforce l'isolement du régime et, dans une certaine mesure, pourrait pousser l'opposition islamiste notamment à se radicaliser», a analysé le politologue Hassan Nafaâ de l'université du Caire, leader de l'Association nationale pour le changement. Par ailleurs, cette violence avec laquelle le régime a fait gagner son parti dénote d'une velléité de se maintenir au pouvoir. L'élection présidentielle de septembre 2011 devrait se dérouler comme les Moubarak le souhaitent : sans tapage et sans concurrent. Les législatives ne sont qu'une étape dans le scénario présidentiel.Le pire est à craindre durant la période qui précédera la présidentielle. Mauvais quart d'heure pour El Baradei à l`aéroport du Caire Les forces d'opposition n'excluent pas que le régime recoure à des méthodes musclées pour faire taire les voix de la résistance. «Dans la panique, le pouvoir pourrait perdre son sang-froid et procéder à des arrestations et réprimer d'éventuelles manifestations de rue», a estimé Abdelhalim Kendil, coordinateur du mouvement Kifaya. Le rassemblement des militants de l'opposition, hier, à Maidan Ettahrir (place de la Libération), au centre de la capitale, pour dénoncer la fraude, a été violement dispersé par les forces de l'ordre. Un cadre dirigeant des Frères musulmans a affirmé que «le risque de voir des arrestations massives des cadres dirigeants du mouvement touchant même le guide suprême de la Gamaâ est réel. On a constaté un changement du ton et du vocabulaire chez les responsables du parti au pouvoir depuis notre retrait des élections. Ils ne parlent plus de mouvement interdit, mais d'une organisation hors la loi». Les responsables des Frères musulmans sont en état d'alerte maximum. Cependant, les islamistes ne sont pas les seuls à être dans le viseur du régime du raïs. L'opposition libérale risque, elle aussi, de subir les foudres du régime. Le signe a été donné, avant-hier, à l'aéroport du Caire lors du retour de Mohamed El Baradei, leader de l'Association nationale pour le changement et ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique. A son arrivée à l'aéroport, il «a été soumis à des intimidations de la part des officiers de la sécurité de l'aéroport. Pour la première fois, Mohamed El Baradei a été obligé d'attendre un bon moment au contrôle des passeports. L'officier a saisi son nom sur l'ordinateur pour vérifier l'identité d'El Baradei. Il a soigneusement vérifié les pays que l'ancien directeur général de l'AIEA a visités durant son séjour à l'étranger. Ce qui a mis en colère le leader de l'opposition. Il a réclamé son passeport avant que l'officier lui dise : nous voulons juste vous souhaiter la bienvenue !», nous a affirmé Ali El Baradei, frère de l'ancien responsable de l'AIEA. Par le passé, Mohamed El Baradei avait un traitement de faveur, avec tous les honneurs. Il passait par le salon d'honneur en tant que haut responsable international, mais également en sa qualité de personnalité nationale qui a bénéficié du Collier du Nil (Kiladat Ennil), une haute distinction dont sont honorés au moins de dix personnalités égyptiennes. Ces «intimidations» s'ajoutent à celles déjà existantes. Le coordinateur de la campagne d'El Baradei pour la présidentielle, Abderrahmane Youssef, a révélé, la semaine passée, «les écoutes téléphoniques du leader du changement installées dans son bureau pour espionner ses mouvements et ses contacts». Ce qu'a enduré Mohamed El Baradei est un signe avant-coureur de ce que sera le traitement réservé aux opposants. L'opposant Hamdine Essebahi a affirmé que «des instructions ont été données pour surveiller étroitement les acteurs politiques éventuellement candidats à l'élection présidentielle, tels Mohamed El Baradei et Ayman Nour». Qu'à cela ne tienne. L'opposition se dit prête à en découdre et appelle à une désobéissance civile jusqu'à imposer des réformes politiques dans le pays. Le peuple, quant à lui, dont la majorité est écrasée par la misère et la pauvreté, est-il prêt à se soulever ? Tel est le grand dilemme auquel fait face l'opposition égyptienne.