La campagne préélectorale du frère cadet du président Bouteflika semble engagée. Il a les attributs d'une chimère politique, les dimensions d'une couleuvre difficile à avaler, mais cependant, a le mérite de déclarer officiellement ouverte la succession à la tête de l'Etat. Affublé d'ores et déjà de l'étiquette de «parti de Saïd Bouteflika» Saïd candidat non encore déclaré à la succession – le Rassemblement pour la concorde nationale (RCN), conglomérat de comités de soutien ayant accompagné dès 1999 l'intronisation de Abdelaziz Bouteflika, remet au goût du jour le scénario de la succession dynastique au palais d'El Mouradia. Info ou intox, ballon-sonde ou pétard mouillé, la campagne préélectorale du frère cadet du président Bouteflika est bel et bien engagée. «Saïd Bouteflika a accepté de présider le RCN à condition qu'il lui soit collecté deux millions de signatures», titrait hier le Quotidien d'Oran, citant des «sources sûres». El Watan Week-end a rapporté – bien avant le quotidien de l'Ouest – dans son édition du vendredi 26 novembre, les propos d'Ahmed Heboussi, un illustre inconnu, «cadre» à l'UGTA, prétendument secrétaire général du RCN. «Nous avons l'accord de principe de Saïd Bouteflika pour présider honorifiquement le RCN», avait-il déclaré à Ouargla, à l'issue d'une réunion régionale ayant rassemblé les représentants de 17 wilayas du Sud et sanctionnée par le lancement effectif d'une opération de collecte de signatures pour la présidence de Saïd Bouteflika. En engageant publiquement le frère et conseiller du président Bouteflika et en se targuant du soutien des «hautes autorités politiques et militaires», Heboussi a fait preuve d'une assurance et d'une audace détonantes. Les «leaders» de ce parti non agréé – ils sont nombreux à se disputer le leadership – n'en sont toutefois pas à leur première déclaration du genre. Début novembre à Oran, La Voix de l'Oranie citait Sid Ahmed Ayachi, présenté comme le président du bureau national du RCN et son porte-parole : «J'annonce depuis Oran et d'une manière officielle, l'accord du frère du président, Saïd Bouteflika, pour être président d'honneur du parti», avait-il déclaré. Ayachi, évincé depuis, n'a jamais été désavoué. Le RCN sur les traces du RND, parti créé en 1997, propulsé en deux temps trois mouvements première force politique ? Possible. Gouga Abdellah, le «porte-parole» de ce parti OVNI dont le «siège national» se trouve à… Aïn Naâdja (banlieue sud d'Alger) se dit confiant quant au potentiel mobilisateur du RCN. Parti «novembriste», le RCN est loin d'être une formation fantôme ou une coquille vide, explique-t-il. «Nous avons des milliers d'adhérents à travers le territoire national et même à l'étranger. Nous avons mis en place des structures, des permanences à travers pratiquement toutes les wilayas (…). Le parti compte des sympathisants y compris parmi les chefs de zaouïa, les moudjahidine, etc.» «Il ne s'agit ni plus ni moins que d'une escroquerie politique», estime le docteur Djebaïli Abdelwahab, qui se décline comme le «président authentique» du RCN. «Le RCN est surpris par ce qui se profile et se tisse à Ouargla», écrit-il dans une lettre à El Watan. Par petites touches, l'architecture de la succession semble se mettre en place. Difficile toutefois de distinguer dans cette démarche la part relevant de l'opportunisme inhérent à la clientèle zélée du régime de celle procédant d'une construction politique sérieuse et réfléchie. Deux mois après la réélection de Abdelaziz Bouteflika pour un troisième mandat, un ancien membre du gouvernement confirmait à El Watan l'existence du «projet» de création d'une troisième force qui aurait la charge de catapulter le frère cadet de Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République. Un tel projet serait, d'après ce ministre, dans sa phase de «concrétisation». Il s'agit, a-t-il dit, de faire d'abord «accepter» à l'opinion ce concept nouveau de succession à la tête de l'Etat. C'est dans cette optique que des «personnalités politiques» dont certaines faisaient partie du staff de campagne de Bouteflika, avaient été «approchées» par le frère et conseiller du président himself. Le 27 juillet de la même année, le Mouvement national génération libre (MNGL) présidé par l'ancien conseiller à la présidence de la République, Mourad Saci, tenait à l'hôtel Es Safir ses premières assises. Complètement effacée de la scène, cette «ONG» qui regroupait les fameux comités de soutien à la réélection de Abdelaziz Bouteflika ne s'est distinguée depuis par aucune activité publique. Les déclarations lourdes de sens des responsables autoproclamés du RCN n'ont pourtant pas fait réagir la présidence de la République. Contacté, le service presse de la Présidence a refusé de les commenter : «Nous ne pouvons rien vous dire ; nous n'avons aucune information à ce sujet», se contente de répondre un fonctionnaire de la Présidence. Propulsé au-devant de la scène, et ce, à l'heure où la santé déclinante des deux principaux décideurs du pays – le président de la République et le patron des services de renseignement – fait les choux gras de certains cercles politico-médiatiques, l'avènement du «parti du frère du Président» n'est pas sans rapport avec les nouveaux réajustements opérés ces derniers mois dans l'architecture du pouvoir. Il intervient dans un contexte politique particulier, à l'heure où Ahmed Ouyahia, le Premier ministre, prétendant sérieux à la succession, engrange les bons points et soigne son image «à l'internationale» et au moment où le FLN se trouve de nouveau dans le creux de la vague, fragilisant grandement la position de son SG, Abdelaziz Belkhadem, autre soupirant à la magistrature suprême.