Le boycott, à partir de demain, des audiences de la Cour suprême et du Conseil d'Etat, auquel a appelé l'Union nationale des barreaux, ne semble pas faire l'unanimité au sein de la corporation des avocats. Tout en reconnaissant l'existence d'entraves aux droits à la défense, ils contestent les conditions dans lesquelles la décision a été prise, mais également le prétexte qui l'a motivée. Le boycott des audiences de la Cour suprême et du Conseil d'Etat, à partir de demain et pour une durée d'une semaine, lancé par l'Union nationale des barreaux, ne semble pas avoir été décidé à la suite d'un consensus. Beaucoup d'avocats estiment que «les entraves aux droits à la défense sont réelles et importantes; elles méritent une concertation et une coordination pour une action plus porteuse et à laquelle l'adhésion est générale». Pour eux, le prétexte utilisé pour lancer l'appel au boycott – à savoir la non-invitation de l'Union à la cérémonie officielle d'ouverture de l'année judiciaire – est infondé parce que les «violations aux droits du justiciable sont ailleurs».Me Benissad souligne que «les entraves aux droits à la défense existent depuis longtemps et les avocats ont de tout temps fait face à celles-ci au niveau de toutes les juridictions, pas seulement la Cour suprême ou le Conseil d'Etat». Il se déclare «surpris» de la décision de boycott prise par l'Union. «Les avocats n'ont pas été associés puisqu'il n'y a pas eu d'assemblée générale. La plate-forme de l'Union est confuse. Si le boycott est décidé uniquement parce que le bâtonnier national n'a pas reçu d'invitation à la cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire, il ne changera en rien aux entraves quotidiennes», dit-il. Ils résument celles-ci à travers les difficultés que rencontrent les avocats pour accéder en véhicule à la Cour suprême, les fouilles dont ils font l'objet et l'obligation de la présence de l'avocat (ou de se faire remplacer par procuration). Me Benissad suspecte «une arrière-pensée» qui pourrait être liée, selon lui, aux prochaines élections au niveau des barreaux. Me Miloud Brahimi affirme pour sa part que le boycott a été décidé sans l'avis des avocats. «Nous ignorons dans quelles conditions la décision a été prise. Il faut savoir qu'au niveau de la Cour suprême et du Conseil d'Etat, l'avocat ne plaide pas. Il verse des documents au niveau du greffe. De plus, comment vont faire les confrères qui sont tenus par les délais? C'est de l'improvisation», déclare-t-il. Il précise que «le prétexte n'est pas sérieux. Je ne vois pas en quoi le fait de ne pas être invité à une cérémonie peut-il porter atteinte aux droits de la défense et pourquoi limiter celle-ci à uniquement la Cour suprême et au Conseil d'Etat ? Moi, je peux vous dire que la Cour suprême est l'endroit où les droits sont le mieux respectés. Elle, elle juge les jugements, alors que le droit du justiciable est plutôt violé au niveau des tribunaux et des cours». Abondant dans le même sens, Me Mokrane Aït Larbi rappelle que le boycott est une décision qui doit être prise par l'assemblée générale, «mais cela n'a pas été le cas». Il explique : «Il aurait fallu soumettre les problèmes à l'assemblée générale, qui, elle, décide d'une plate-forme avec des solutions. Celle-ci est remise au ministre de la Justice et aux chefs de cour auxquels il faut laisser un temps pour leur permettre de répondre. Si ceux-ci ne répondent pas, c'est à l'assemblée générale que revient la riposte. Mais toute cette procédure n'a pas été respectée. Nous sommes mis devant le fait accompli et nous ne pouvons que suivre le mot d'ordre.» Me Khaled Bourayou n'y va pas avec le dos de la cuillère. Il qualifie de «mauvais prétexte» la non-invitation à la cérémonie officielle de l'ouverture de l'année judiciaire. Il note cependant que les «revendications restent fondées et doivent être réglées dans la concertation et en coordination avec l'ensemble des membres de la corporation pour défendre un principe fondamental et trouver des solutions pour sa préservation». Me Bourayou exprime son «regret» de constater qu'à ce «niveau de l'organisation, il n'y a pas eu de concertation». «L'une des bases qui donne la crédibilité à la justice c'est la préservation du droit à la justice et son renforcement. En fait, il est regrettable de constater que s'il n'y avait pas la non-invitation, il n'y aurait pas eu d'appel au boycott», note-t-il. Lui aussi suspecte un lien avec la préparation des prochaines élections pour le renouvellement des barreaux, prévues au plus tard pour le début de l'année 2011.Ce que de nombreux autres avocats avec lesquels nous nous sommes entretenus ont affirmé, arguant du fait que durant les trois années de mandat, l'actuel bureau est resté silencieux sur les nombreuses dérives de la justice, notamment à travers les innombrables violations du droit à la défense. Allons-nous assister à un flop ? Nous n'en savons rien, d'autant qu'il sera difficile de constater sur le terrain si effectivement le boycott a été suivi ou non. Il est certain que bon nombre d'avocats se disent non concernés par la décision et ceux qui vont suivre le mot d'ordre le font tout en estimant avoir été mis devant le fait accompli.