Les pays qui subissent le plus la crise des subprimes, sans pour autant l'avoir provoquée, doivent faire face à des situations sans précédent : prendre des décisions de rigueur en période de sous-utilisation des capacités, de chômage et de chute de la production nationale.Le Royaume-Uni, l'Irlande et la Grèce sont dans cette situation. Les Etats-Unis d'Amérique (USA), pourvoyeurs de la crise, sont en train d'adopter des mesures de relance classiques. Qu'est-ce qui explique cette situation ? Les institutions internationales, le FMI et la Banque mondiale, sont en train d'encourager les USA à dépenser davantage et les autres pays affectés à réduire leurs déficits budgétaires par une série de mesures antipopulaires : baisse des salaires, gel des retraites, vente d'actifs publics, etc. Y a-t-il une logique économique valable pour les USA et une autre pour le reste du monde ? Il semble que les schémas thérapeutiques préconisés pour un même mal soient diamétralement opposés. Nous allons essayer de simplifier la problématique au risque de la schématiser. Notre but est surtout de poser le problème en termes simples afin de le rendre accessible aux décideurs et aux citoyens intéressés. Les solutions aux récents dilemmes sont encore embryonnaires. Nous n'avons pas un schéma thérapeutique consensuel et efficace. Mais comprenons la nature des défis d'abord. Un Nouveau Challenge pour les décideurs Ce n'est pas la première fois que la macroéconomie moderne (post keynésienne) fait face à des défis nouveaux. L'école libérale (et son prolongement néolibéral) a toujours prôné les mêmes vieilles idées : réduire le périmètre de l'Etat, laisser faire le secteur privé, s'assurer que la compétition soit présente dans tous les secteurs, introduire de la rigueur dans l'émission monétaire et le reste. Mais l'idéologie dominante, après la dépression de 1929, est surtout d'inspiration keynésienne. Elle attribue un rôle plus actif à l'Etat : accentuation des dépenses publiques, du crédit et réduction des taux d'intérêt pour lutter contre le chômage et adopter des mesures tout à fait contraires pour lutter contre l'inflation, car les deux phénomènes étaient considérés antinomiques. On pouvait avoir une sous-utilisation des capacités induisant une inactivité des ressources humaines avec une stabilité ou une réduction des prix, ou une hausse de ces derniers, (inflation) doublée du plein-emploi. Mais en 1973-74 et 1982-84, et pour la première fois, les deux problèmes surgirent conjointement (stagflation) pour la vaste majorité des pays importateurs d'énergie (les chocs pétroliers). C'était le premier grand défi majeur qui se posait aux décideurs macroéconomiques (Je faisais partie d'un laboratoire de recherche aux USA dédié à la question et mon sujet de doctorat portait sur des modèles économétriques liés à ce thème). Après plusieurs débats et surtout suite à une expérimentation très riche sur le phénomène, nous savons aujourd'hui, à peu près, ce qu'il faut faire en de pareilles circonstances : lutter contre l'inflation d'abord, l'extirper du système puis croître sainement et progressivement par la suite. Les outils, les méthodes et le timing étant complexes, nous laissons cela de côté.La macroéconomie moderne recèle beaucoup de défis qui attendent des dénouements acceptables. On ne sait pas trop bien gérer le phénomène de la confiance. Ce dernier a un impact important sur les dépenses du public et donc sur la capacité de l'Etat à relancer la machine économique. Sous le règne de Ronald Reagan, malgré une hausse du dollar, l'économie américaine retrouvait le plein-emploi grâce à des consommateurs dépensiers, car en confiance. Sous l'ère du président Carter, malgré plusieurs mesures de relance, la consommation s'est amenuisée au point de créer un taux de chômage à deux chiffres (la vitesse de circulation de la monnaie s'est ralentie). L'économie devient de plus en plus un exercice de communication : redonner confiance aux citoyens c'est déjà gagner plus de 50% de son pari économique. Mais comment le faire ? Nous avons beaucoup de pistes et aucune certitude. Un autre exemple de défi concerne les phénomènes à la marge (effet papillon) qui créent des crises d'une très grande ampleur. Des prêts imprudents et laxistes par des institutions financières thaïlandaises avaient provoqué une série d'événements qui avaient provoqué la crise la plus grave que l'Asie eut à connaître au courant du XXe siècle. Des économies aux fondamentaux solides avaient failli être englouties par un début de crise apparemment anodin et d'une ampleur minime. Les crises ont tendance à avoir des conséquences surdimensionnées par rapport à leurs sources départ. Le désarroi des décideurs Prenons le cas d'un pays comme la Grèce. Bientôt nous aurons un second martyr : l'Irlande. La Grèce a commis les traditionnelles erreurs de politique macroéconomiques. Au lieu de constituer des surplus budgétaires en période de prospérité pour les utiliser en temps de vaches maigres, le pays avait vécu au-dessus de ses moyens même en temps d'opulence. La Suède et le Canada ont mieux piloté leurs économies respectives. Leur niveau d'endettement est très bas. Ils ont acheté beaucoup moins de produits toxiques, grâce à une réglementation plus performante. Mais la Grèce a commis les deux erreurs conjointement : surendettement et fragilité de son système bancaire. Le pays est au bord de la dépression. Le chômage est alarmant. Les capacités non utilisées sont énormes. Les manuels d'économie enseignent que dans cette situation, il faut dépenser plus, provoquer des déficits budgétaires, faciliter l'accès aux crédits, réduire les taux d'intérêt et le reste. C'est plus ou moins ce qui est pratiqué aux Etats- Unis. Mais le FMI et l'Union européenne dictent des mesures tout à fait contraires à ce qui est de l'intérêt de la Grèce. En 2009, la production nationale avait chuté de 2% et le chômage avait atteint 11,6%. Pour la même année, la chute de la production fut de 2,4% aux USA et le taux de chômage de 9,3%. Les deux pays avaient les mêmes problèmes. Mais les schémas thérapeutiques qui leur ont été proposés furent totalement différents.Depuis des décennies, on assiste au même phénomène. Le FMI, la Banque mondiale et le reste des institutions internationales obligent les pays en difficulté à adopter des politiques macroéconomiques contraires à leurs intérêts et aux prescriptions qui faisaient consensus quelques années auparavant. La Corée du Sud, la Thaïlande, l'Indonésie étaient toutes invitées à des politiques de rigueur en pleine récession. Pourquoi ? Pour plaire aux marchés financiers internationaux et éviter des mouvements spéculatifs sur leurs monnaies et une réduction drastique des investissements internationaux. Pour séduire les marchés financiers et contenter les spéculateurs, il faut donc s'auto-infliger des dégâts énormes et prendre des décisions tout à fait contraires, à ce qui relève de l'intérêt national. Les manuels d'économie doivent être réécrits pour intégrer cette dimension. Pour les mêmes maux, les USA relancent leur économie et le reste des pays sont invités à basculer les leurs en récession profonde. Les USA peuvent se permettre des déficits budgétaires, une croissance de leur base monétaire, parce que leur monnaie finit par être en réserve dans un des nombreux pays qui l'utilisent dans les échanges internationaux. Nous sommes dans un système monétaire qui facilite les sorties de crise pour les USA et les rend beaucoup plus compliqués et plus préjudiciables pour le reste du monde.Les pays européens ont une difficulté supplémentaire : l'incapacité d'utiliser le taux de change pour dévaluer (euro) et accélérer le retour aux grands équilibres macroéconomiques. La politique monétaire leur échappe. Tinbergen, prix Nobel d'économie, a montré l'utilité d'utiliser au moins autant d'instruments que d'objectifs macroéconomiques (Tinbergen : on the Theory of Economic Policy). L'instrument taux de change est généralement affecté à l'équilibre de la balance des paiements et le déficit budgétaire pour soutenir l'emploi (Mundell : the Appropriate Use of Monetary and Fiscal Policy for Internal and External Stability). Mais de nos jours, on demande à ces pays de réduire les déficits budgétaires pour plaire aux créanciers. Mais entre temps, on aggrave la situation de l'emploi. Ce défi n'est pas encore résolu par la macroéconomie moderne. Conclusion : L'Algérie avait tout à fait raison de payer sa dette par anticipation. Nous n'avons donc pas la contrainte de plaire aux créanciers par des politiques contraires à l'intérêt national. Nous ne sommes pas encore prêts pour permettre une libre circulation des capitaux, mais le jour venu, elle devrait se faire avec une extrême prudence et une stratégie qui met à l'abri le pays des mouvements spéculatifs et qui protège nos moyens de paiement extérieurs qui doivent aller au financement de la qualification des ressources humaines et de l'économie productive. Nous avons beaucoup de leçons à tirer des crises récentes. Mais ceci ne justifie guère l'état de délabrement dans lequel se trouve notre système financier. Il nous faut beaucoup d'efforts et de sagesse pour progresser sans faire les erreurs de nombreux pays. Les deux dernières décennies ont connu des bouleversements qui ont remis en cause les fondements de la macroéconomie moderne. Un système financier mondial débridé, et jusqu'à une date récente, soutenu par les USA et les institutions internationales, dictait au reste du monde des politiques tout à fait contraires au bien-être de leur population, mais qui sont destinées à séduire les spéculateurs et une économie spéculative hors de contrôle. Il y a un faible espoir que les nouvelles règlementations mondiales éradiquent le phénomène. Mais croisons les doigts et attendons. Sinon gare aux prochaines crises. Elles seront de plus en plus hors de portée des outils des politiques macroéconomiques traditionnelles.