Le 03 décembre 1985 trépassa d'une longue maladie l'une des figures les plus emblématiques de l'art plastique algérien ; Mohamed Issiakhem. Ça fera tout juste un quart de siècle. Pour la célébration de cette date anniversaire, le Musée national d'art moderne et contemporain (MAMA), abrite depuis mercredi dernier une immense expo regroupant plusieurs œuvres de l'artiste peintre. Y a aussi des inédits, des collections privées, publiques, retraçant le travail de l'artiste qui, au fur et à mesure du passage du temps, est allé vers une expression de l'art la plus dépouillée. Ce rendez-vous plastique sera d'ailleurs visible jusqu'au 31 décembre prochain au MAMA. En plus de cette expo, une table ronde sur la vie et l'œuvre de M'Hamed Issiakhem a été organisée, jeudi dernier, au même endroit. Selon l'historienne de l'art, Nadira Laggoune, qui a longuement évoqué la richesse des dessins de presse d'Issiakhem, "l'étude de ces derniers permettra de découvrir une dimension de l'oeuvre qui est particulière". "Ses dessins de presse sont des œuvres importantes car elles marquent un moment de l'histoire et de l'histoire de l'art", a-t-elle dit, ajoutant qu'il existe un lien entre ses activités picturales et graphiques et que "ce lien est celui de l'engagement militant". "Cet engagement va continuer après 1962 comme le montrent les affiches réalisées pour les pièces de théâtre de Kateb Yacine, " Palestine trahie " et Mohamed prends ta valise", a souligné Laggoune qui a déploré l'absence de recherches sur les dessins de presse d'Issiakhem. En 2007 et à la faveur de " Alger capitale de la culture arabe", l'une des œuvres du géant de la peinture, a été montrée pour la première fois au public. Inédite, l'œuvre qui s'intitule, Algérie a été réalisée en 1960 et vue pour la première fois à l'occasion d'une rencontre organisée à Vitry-sur-Seine (près de Paris), avant de la donner " au peuple algérien ". En effet, c'est le vœu du donateur de cette œuvre, Jacques Arnault, ancien rédacteur en chef de la revue La Nouvelle Critique. Le regretté M'Hamed Issiakhem avait offert en 1960 le tableau, représentant trois enfants algériens, à Jacques Arnault qui en a fait don, à son tour, au "peuple algérien". Issiakhem partout célébré En septembre dernier et en marge de la sortie en France du très controversé, "Hors la loi " de Rachid Bouchareb, les 3 Cinés Robespierre de Vitry-sur-Seine proposaient de découvrir cette même œuvre. Restaurée par les soins de l'association Art et Mémoire au Maghreb "Alger 1960" est devenue toute fraîche grâce aux mécènes sollicités avec succès par l'universitaire et critique d'art Benamar Mediene. Durant le mois de juin 2008, le village de Taboudoucht (Commune des Aghribs, wilaya de Tizi Ouzou), a rendu hommage à un illustre enfant du pays en la personne de M'hamed Issiakhem. A l'initiative de l'association qui porte son nom, la manifestation, qui a réuni un grand nombre d'artistes peintres et de compagnons de route d'Issiakhem, fut également l'occasion d'une conférence de Benamar Mediene, d'un récital de poésie de Benmohamed, et d'une projection du portrait documentaire réalisé en 1985 par Fawzi Sahraoui. Une exposition hommage a donné à découvrir les travaux des artistes participants ainsi que ceux des étudiants des Beaux-Arts d'Oran, Mostaganem, Alger et Azazga. Son ami, le défunt Kateb Yacine, a déclaré l'avoir "vu, plus d'une fois, finir une toile en quelques heures, pour la détruire tout à coup, et la refaire encore, comme si son œuvre aussi était une grenade qui n'a jamais fini d'exploser dans ses mains". Né à Taboudoucht, dans le douar des Ath Djennad en Kabylie, Mohamed, dit M'hamed, Issiakhem (1928-1985) passe son enfance à Relizane. C'est là qu'en 1943 il manipule une grenade ramassée dans un camp militaire américain, dont l'explosion provoque la mort de deux de ses sœurs et d'un neveu. Après deux années d'hospitalisation et plusieurs opérations chirurgicales, il se voit quant à lui amputé de l'avant-bras gauche. Un plasticien engagé À la fin des années 1940, M'hamed Issiakhem s'inscrit à la Société des Beaux-Arts d'Alger. Jusqu'en 1951, l'élève du miniaturiste Omar Racim suit les cours de l'Ecole des Beaux-Arts d'Alger avant de faire la rencontre de Kateb Yacine. À Paris, où il retrouve l'auteur de Nedjma, M'hamed Issiakhem expose à la galerie André Maurice et entre à l'Ecole supérieure des Beaux-Arts de Paris. Boursier de la Casa Velasquez à Madrid en 1962, il préfère retourner en Algérie, indépendante depuis juillet. A nouveau en compagnie de Kateb Yacine, il rejoint le quotidien Alger républicain où il passera deux années en tant que dessinateur. Plus tard professeur aux Beaux-Arts d'Alger et d'Oran, l'artiste a réalisé de nombreuses expositions en Algérie et à l'étranger avant de se voir décerner le premier Simba d'Or de la peinture, une distinction de l'Unesco pour l'Afrique, remise à Rome en 1980. "Devant sa peinture, écrit le sociologue Benamar Mediene, Issiakhem est le déconcertant, le paradoxal, l'irrévérencieux démiurge, qui, dans sa lucidité prophétique avale de la poudre à canon et allume une cigarette. L'art, pour lui, est toujours un risque qui engage l'existence même de celui qui l'assume".