Un essai qui s'appuie sur des faits mais s'accompagne aussi de digressions. L'horrible strangulation de Mohamed Bouzidi, dirigeant de l'ALN/FLN, alors qu'il était solidement enchaîné sur une chaise, n'est pas été un crime à mettre au compte des forces coloniales. Il périt des mains de ses frères de combat, fin 1956, pour avoir osé remettre en cause la prééminence de l'extérieur sur l'intérieur, comme Abane Ramdane dont l'exécution a été un remake de la sienne. Cependant, dans le cas de Mohamed Bouzidi, il n'a pas été prétendu mort au champ d'honneur. L'ignominie avait allégué qu'il avait été muté au Sahara et qu'il avait rejoint son poste sans tarder, cela à la suite d'une fictive réunion de conciliation avec Boussouf et Boumediène, une rencontre à laquelle il avait été convié à Oujda par… Boudiaf. Datée du 20 septembre 1956, une lettre, prétendument de sa main, avait même été remise à son frère, de façon à éviter toute rébellion de la part de ses compagnons et des ses troupes, car les uns et les autres au maquis savaient ses démêlés avec ce qui allait s'appeler le clan d'Oujda. Il faudra attendre 1985 pour que Mohamed Bouzidi soit réhabilité et que sa dépouille soit inhumée au cimetière d'El Alia, à Alger. En 1999, il fut décoré à titre posthume de l'Ordre du mérite El Athir. Dans Oûgb ellil wa thaoura dakhel ethaoura (Oûgb Ellil, une révolution dans la révolution)*, Lahcen Bouzidi, un des enfants du martyr, dresse un implacable procès à l'endroit de ceux qui ont décidé de son exécution. Il le fait en rappelant le niveau de responsabilité qu'occupait son père, ses hauts faits d'armes, ses compagnons parmi les plus connus ainsi que le menu détail de la conspiration qui l'avait ciblé. A la veille du 1er Novembre 1954, ce militant de la première heure de la cause nationale, membre de l'OS (Ndlr : Organisation secrète fondée en 1947), a été désigné chef du secteur V, soit l'équivalent du territoire de l'actuelle wilaya de Tlemcen. Au début de la formation de ce secteur, «Oûgb Ellil», un des multiples noms de guerre de son chef, constitua huit groupes de 35 à 40 combattants pour entamer le combat libérateur. Fait notable, deux autres membres de la famille de Mohamed Bouzidi étaient chacun à la tête de deux des six autres secteurs qui couvraient les cinq wilayas du Nord-Ouest (Mostaganem, Oran, Témouchent, Sidi Bel Abbès, Tlemcen). En outre, Taksalat, un douar rasé en 1956 par l'armée coloniale, fief des Bouzidi, a donné, à la lutte pour l'indépendance, soixante-sept chouhada, dont trois des frères de Mohamed Bouzidi. Basé sur des témoignages recueillis par l'auteur, l'ouvrage de Lahcen Bouzidi restitue une époque où le groupe dit d'Oujda allait s'imposer comme force incontournable au sein de la révolution, après s'être installé dans la ville marocaine, frontalière de l'Algérie. C'est suite à la délocalisation du commandement de la région Ouest vers cette ville que Oûgb Ellil manifesta sa défiance à l'endroit de ses chefs, les accusant de «planqués». Il estimait que ce commandement avait perdu toute légitimité opérationnelle au regard du fait que la guerre menée sur le terrain était une guérilla. La goutte qui le fit passer à l'insubordination vint de la lettre circulaire adressée par Boudiaf aux secteurs, en avril 1956, une correspondance leur ôtant l'initiative du harcèlement des troupes d'occupation et leur intimant l'ordre de ne plus agir que sur instructions de la direction basée à Oujda. Oûgb Ellil, une révolution dans la révolution, rapporte également bien d'autres révélations d'une rare gravité. Si, par chance, il lui arrivait d'être réédité, il est à espérer que son auteur lui fasse gagner en densité en l'expurgeant de ses pontifiants commentaires et de ses panégyriques enflammés, le tout étant par ailleurs lesté d'affirmations à caractère idéologique auxquelles le lecteur n'est pas tenu d'adhérer. En effet, ce type d'essais mémoriels est tenu de faire prévaloir les faits et rien que les faits pour soutenir la crédibilité de son propos. *Oûgb Ellil wa thaoura dakhal at Thaoura, de Lahcen Bouzidi. Editions Dar El Gharb, Oran, 2010, 135 p.