Le dinar tend à accuser une certaine chute de sa parité commerciale, et ce, depuis le début de 2009. Dans cet entretien, Mustapha Bensalhi, ancien expert au FMI, explique les techniques et les raisons d'appréciation de la Banque d'Algérie en vue d'assurer la stabilité du dinar. - Le patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn, en visite récemment à Alger, a jugé que le dinar ne peut être affecté, même si la crise de monnaies perdure encore. Cette question relance le débat sur la valeur et la convertibilité du dinar. Quel est votre avis à ce sujet ? Dans le contexte des turbulences qui caractérisent actuellement les marchés financiers internationaux et leurs effets négatifs sur les économies, le FMI a, en partie, raison de déclarer que le dinar est protégé contre les chocs extérieurs, et ce, eu égard à une série de facteurs. Il suffit de citer à cet égard notamment l'importance de l'accumulation des réserves officielles de change dont dispose l'Algérie, la non-convertibilité du dinar, ce qui le dispense d'entrer en jeu directement dans la volatilité de la demande et l'offre du marché financier, l'état des banques publiques qui, par suite de leur gestion archaïque, ne sont pas encore intégrées dans le réseau financier international qui a été affecté par la crise mondiale, ce qui est tantôt une bonne chose pour avoir résisté aux effets collatéraux de cette crise, tantôt une mauvaise chose pour n'être pas au diapason de la modernité en termes d'efficience en gestion, et enfin, la politique de stabilisation observée du taux de change de l'effectif réel du dinar qui renforce sa préservation. Tous ces facteurs regroupés tendent solidairement à mettre à l'abri le dinar des turbulences qui s'opèrent dans l'espace extra-muros. En tout cas, il semble que toutes les dispositions aient été prises par les autorités algériennes pour que le placement de la partie des réserves se fasse avec les garanties requises, quant à la crédibilité des monnaies ciblées. - Quel serait le risque pour l'Algérie si la FED mettait à exécution son projet de vendre les obligations d'Etat américaines constituées par des réserves de change de certains pays ? L'Algérie est-elle concernée par cette mise en vente massive ? Il est vrai que les Etats-Unis attirent sur eux, en ce moment, de sérieuses critiques, précisément depuis l'injection supplémentaire, dans leur économie par la Réserve fédérale américaine, la semaine dernière, de 600 milliards de dollars de liquidités pour contenir une déflation qui se dessine très nettement et pour relancer en même temps l'économie qui n'arrive pas à redémarrer, tant elle rencontre effectivement des obstacles sur son chemin.Une telle mesure ne manque pas de provoquer aussi un affaiblissement du billet vert qui est déjà contesté généralement en tant que monnaie de référence et, depuis, elle suscite d'ailleurs un vif mécontentement de la part des partenaires commerciaux des Etats-Unis, dans la mesure où ils craignent que cette masse de capitaux ainsi injectée, ne produise, à l'échelle mondiale, une forte inflation spéculative.C'est pourquoi, à la suite de cet état de confrontation entre les blocs d'influence financière (dollar, euro, yen, yuan), certains pays, notamment émergents, ont réagi en se préoccupant de mettre en place une espèce de mur de protectionnisme contre tout mouvement de déstabilisation spéculative. Tout fait ressortir que la FED a agi en solo et semble faire, dès lors, fi aussi bien de l'esprit de coopération que des conséquences à l'échelle mondiale, ce qui tend à agiter le monde des affaires, tout en faisant en sorte de mettre en échec la dernière réunion du G20, qui n'a pas réussi à trouver un terrain d'entente. A l'évidence, cette dépréciation du dollar se traduit par un afflux de liquidités spéculatives, notamment sur les marchés émergents et en développement, qui n'épargne pas l'Algérie, dès lors que le prix du pétrole exporté auquel est indexé le prix du gaz est libellé en dollar, alors qu'en revanche, les importations, dans une large part, sont libellées en euro dont la valeur en augmentation se décroche par rapport à celle du dollar en nette fléchissement. - L'Algérie devra-t-elle réévaluer sa monnaie? Appuyez-vous la politique de la Banque d'Algérie qui consiste à jouer sur la balance de change afin de maintenir le dinar à une valeur très basse ? Il est vrai que le dinar tend à accuser une certaine chute de sa parité commerciale, et ce, particulièrement depuis le début 2009, par rapport aux monnaies telles que l'euro et le dollar, ce qui est à même de raviver, à juste titre, le débat sur la question de la valeur du dinar avec la perspective d'une éventuelle réévaluation. Il convient de rappeler, d'abord, que la Banque d'Algérie ne s'est pas départie de sa doctrine qui a la singularité d'être empreinte d'une réelle prudence, ce qui l'a amenée en conséquence à toujours soutenir, depuis la seconde moitié des années 1990, ce qu'elle appelle dans le jargon technique «la politique de flottement dirigée pour assurer la stabilisation du taux de change effectif du dinar, en vue de faire face aux fluctuations fortes des taux de change des principales devises sur les marchés internationaux». Elle légitime chaque fois que «le taux de change effectif réel du dinar est proche de son niveau d'équilibre», tout en tenant compte de l'intérêt du développement du pays. Il ne fait aucun doute que la Banque d'Algérie est investie d'un lourd fardeau de responsabilité dans l'appréciation du taux de change du dinar, dont la faiblesse de la valeur du dinar procède de tout un concours de circonstances, entre autres le souci de rendre les prix attractifs pour concurremment favoriser les transactions courantes, conforter la compétitivité externe en matière d'exportation hors hydrocarbures, qui ne représentent que 2% par rapport aux 98% des exportations en whydrocarbures, et pour stimuler les investissements nationaux et étrangers. De plus, un dinar fort éventuel profitera davantage aux sociétés étrangères qui bénéficieront ainsi d'un transfert massif des capitaux en monnaie sonnante et trébuchante. - Il y a aussi un autre collectif d'experts et d'agents économiques qui défendent une autre thèse, celle de réévaluer le dinar… Les défenseurs de la réévaluation du dinar, représentés surtout par les opérateurs économiques, tiennent un langage bien divergent, en considérant que la faiblesse de la valeur du taux de change est jugée comme intenable pour avoir franchi quelque peu le seuil plancher de tolérance comportant un impact négatif, comme notamment le renchérissement des coûts à l'importation des équipements et des matières premières indispensables pour les activités économiques, la diminution du pouvoir d'achat au détriment des consommateurs. A l'évidence, le maintien de la valeur du dinar au niveau faible actuel permet, en bonne règle, le rétablissement de l'équilibre budgétaire et l'alimentation du Fonds de régulation, et ce, grâce à l'accroissement consécutif des ressources de la fiscalité pétrolière. Quoi qu'il en soit, toute réévaluation, loin d'être une opération d'ordre technique, présente plutôt un véritable enjeu au stade actuel, en ce qu'elle a pour objet de formater la valeur du dinar dans le sens de son adaptation au regard de certaines contingences, mais encore faut-il que les conditions requises soient réunies. - Quelles sont les conditions nécessaires à cette réévaluation que vous évoquez ? Il est important d'asseoir une politique financière rassurante dans l'ensemble, avoir une balance des paiements qui se veut tout au moins équilibrée et un système bancaire performant, ainsi qu'une situation budgétaire stable. L'existence d'appareil de production efficient, en termes de compétitivité et de diversification, s'avère indispensable également. Comme l'économie n'est pas suffisamment diversifiée en restant largement dépendant de la manne de la rente pétrolière, il est difficile qu'elle supporte toute réévaluation. Ceci est d'autant plus vrai que le niveau faible du dinar, depuis le temps, n'a pas donné la preuve qu'il tend à aider les exportations hors hydrocarbures qui dépendent davantage d'une culture qui fait manifestement défaut en l'état actuel, comme également il n'a pas favorisé le développement du secteur industriel qui paraît en panne, particulièrement pour la fabrication de produits à valeur ajoutée. Mais, il faut croire que la politique macroéconomique se prête de plus en plus à une visibilité dans ses avancées patentes et de ce chef, la valeur du dinar gagnerait, somme toute, à s'améliorer dans ce cas de figure, et ce, dans les limites raisonnables, équilibrées et transparentes, pour peu, bien entendu, que cette réévaluation soit en phase avec les fluctuations des monnaies les plus influentes, dont l'impact se fait nettement sentir, comme celle par exemple de l'euro dont la valeur se renforce de plus en plus. En clair, la solution consisterait, sans pourtant abandonner ce que la Banque d'Algérie appelle «le flottement dirigé», d'adapter un système de taux de change comportant une dose graduelle de flexibilité, ce qui pourrait aller prudemment dans le sens des préoccupations des entreprises et de l'économie du pays d'une manière générale.