Dextérité des doigts ou pas, le résultat est le même : avec l'ADSL, internet ça va vite. De l'étudiant à la recherche d'informations au chatter infatigable, les cybercafés ne désemplissent pas. A toute heure du jour et de la nuit, de 8 à 35 ans, internet séduit. Bien plus qu'une simple histoire d'amour entre l'ordinateur et « l'ordinaté », une relation de dépendance. « Certains passent huit heures d'affilée derrière un PC », raconte un gérant de cybercafé au 1er Mai, à Alger. Et tout est prévu pour répondre aux besoins du cybernaute. Une machine à café, un réfrigérateur pour boissons fraîches... Une musique de fond qui balance aux rythmes de la pop et de chansons douces. Quatorze ordinateurs sont disposés en deux rangées parallèles, mais obligeant les cybernautes à se retrouver face à face. Mais un face-à-face calculé puisque personne ne voit personne. Cachés derrière un écran, l'esprit qui vagabonde au rythme de la souris, les occupants ne sont pas gênés par des regards scrutateurs ou déplacés. Des caches sur chaque côté permettent de voguer sur le web en secret. La clientèle studieuse Agée de 15 ans, c'est pour approfondir ses connaissances que Fatma s'autorise une heure de surf sur le net. Un foulard sur la tête, un sandwich maison qui dépasse du cartable, la jeune fille est occupée « à élargir son savoir » en maniant la souris comme on trempait sa plume, à une période révolue. La bosse de l'écrivain qui grossissait fièrement le majeur de la main droite (ou gauche pour les gauchers) par trop d'écriture au stylo est remplacée par le gonflement de l'index dû au roulement de la molette de la souris. « Je reste une heure ou une demi-heure pour effectuer des recherches lorsque j'ai un dossier à travailler. » Studieuse, l'internet est un merveilleux outil de savoir pour la jeune étudiante. Moins onéreux qu'un livre, il ramasse un maximum de données sur un minimum de place. Quant à la fiabilité des informations trouvées sur internet, la jeune fille s'en soucie peu. Magique, presque auréolé de la palme de l'outil le plus intelligent, internet est le multi-ultra-dictionnaire que rêvent d'avoir tous les assoiffés de découvertes. La proximité du cybercafé de l'établissement scolaire fournit des occasions rêvées pour accéder au monde virtuel en un temps limité. Avant de commencer la journée ou à la sortie des cours, le cybercafé est comble. Quelques sièges sont disposés à l'entrée, comme dans la salle d'attente de chez le dentiste, pour faire patienter les nouveaux arrivés. Une limonade ou un café chaud détendent l'atmosphère et diminuent de l'impatience de chacun. Mais à l'opposé de chez le dentiste, les clients affichent un visage serein ou souriant. Dans l'attente de pouvoir s'évader. Dans l'expectative d'une nouvelle rencontre... La clientèle chatteuse Il a le même âge que Fatma, du moins selon ses affirmations, mais n'utilise pas internet pour « les besoins d'un savoir toujours plus grandissant ». C'est plutôt pour les besoins de jouer et de gagner. Et son maximum derrière un écran d'ordinateur : huit heures et de nuit. Il est du quartier et ses parents très au fait de ses faits et gestes étaient persuadés qu'il devait travailler un exposé. Plus fièrement, il déclare devant une assistance de cybernautes qu'il a joué durant ces huit heures. Et qu'il a gagné ! Sous la huée de quelques camarades, il campe sur ses positions et se justifie par des propos techniques tendant à démontrer qu'il a atteint, sans aucune difficulté, le dernier stade du jeu. Encyclopedia, Encarta... Fouad ne connaît pas. Mais récite par cœur les derniers jeux à la mode et les performances nécessaires pour y jouer. Comme si c'était lui le « bioman » du jeu. Celui avec des muscles à faire pâlir Schwarzenegger et une intelligence à la Sherlock Holmes. Ses notes scolaires ? Il ne compte pas s'attarder dessus. Ce sont les points qu'il accumule dans ses jeux qui font place de bulletin scolaire. Chétif, mais en passe de s'allonger et s'élargir, c'est pour devancer la nature que l'adolescent s'imagine en héros de jeux. La main constamment sur la souris, les yeux accrochés à l'écran, Fouad rêve de cape et d'épée. Ou plutôt de couteaux à dents de scie et de Diktariov (gros fusil-mitrailleur). A chacun son époque. La clientèle du soir Selon le gérant du cybercafé, c'est une tout autre atmosphère le soir et la nuit. « On entendrait les mouches voler », illustre-t-il. Jusqu'à 21h, quelques jeunes filles peuvent encore « hétérogénéiser » le décor. Mais après le gong qui sonne neuf heures du soir, le cybercafé n'a qu'une clientèle masculine. Agée entre 17 et 35 ans. Célibataire pour la plupart ou mariée avec le chat. « Certains passent quelques heures à chatter avec quelqu'un qu'ils connaissent. C'est d'ailleurs mon cas. Je ne peux pas parler sur internet avec de parfaits inconnus », prétend le gérant du cybercafé. Les plus jeunes utilisent le web pour jouer. D'autres encore s'adonnent au plaisir des rencontres. Plus facile de draguer sur internet que dans la rue. Ni vue ni connu et si on se fait rembarrer, nul n'est témoin. L'honneur est sauf. « Ceux qui chattent avec des inconnues visent surtout des personnes vivant à l'étranger. Et des femmes. » Peu importe la couleur, l'origine ou la beauté de la chatteuse étrangère. Ce qui compte, c'est de se faire une porte de secours vers un ailleurs. Et qui sait, la chatteuse étrangère peut être prête à tout faire pour conquérir son Algérien. Une belle histoire d'amour sans face-à-face décevant. Plus besoin de s'apprêter, soigner sa moustache et s'asperger d'Hugo Boss pour espérer accrocher un regard. Un modem, une connexion internet et un cendrier posé à côté pour remplir des pages blanches de chat. Les smiley feront figure de photos, le livre de Baudelaire, caché sur les genoux, pourra parfaire le français. Les discussions dureront le temps qu'elles dureront, mais les séparations se feront sans amertume ni pleurnichement. Si le chatteur est harassé de chatteuses quelque peu mielleuses, c'est facile, il suffit de se déconnecter.