-Etes-vous étonnée par l'ampleur des émeutes en Tunisie ? S'agit-il d'un fait inédit ? Plusieurs éléments sont étonnants dans ce mouvement de révolte. Tout d'abord sa durée, puisque le 29 décembre (date de l'interview) marquait le 14e jour de protestation. Ensuite, le fait que les manifestations ne se déroulent plus seulement à Sidi Bouzid, mais elles se sont propagées à Tunis et aux grandes villes du pays. Enfin, on voit fleurir de nombreux slogans appelant au départ du président Ben Ali et plus encore à celui des clans notoirement corrompus qui l'entourent. Pourtant, même si l'ampleur de ces manifestations parties d'une tentative de suicide d'un diplômé chômeur surprend, elles ne sont pas inédites en Tunisie. On peut par exemple citer les émeutes de 2000, consécutives à une crainte de la hausse du prix du pain dans le sud-est du pays. Ou encore le soulèvement du bassin minier de Gafsa en 2008 qui a duré plusieurs mois. Même si les médias n'en font pas état, des mouvements de protestation spontanés et brefs surviennent régulièrement dans les régions les moins favorisées économiquement de la Tunisie. -Y a-t-il une menace concrète contre le règne du président Ben Ali ? C'est bien la question qui se pose : sommes-nous à la veille du grand soir en Tunisie ? Dans son édition en ligne du 28 décembre, le quotidien britannique The Guardian compare la période que vit la Tunisie à celle qui a précédé la chute du dictateur roumain Ceausescu. Je pense qu'à ce stade, les manifestations sont encore à placer sous le sceau de la spontanéité et de la solidarité avec la région de Sidi Bouzid, même si de plus en plus de slogans politiques dénoncent le régime et que des appels à la révolution circulent sur Internet. Le retour des étudiants dans les universités début janvier donnera une indication claire sur l'essoufflement ou, au contraire, la propagation du mouvement. Si c'est l'embrasement alors, oui, la question du maintien du président Ben Ali au pouvoir se posera. -Kadhafi a ordonné que les Tunisiens puissent rentrer en Libye sans frais en facilitant leur passage. Comment interpréter cette attitude ? En dépit des relations économiques qui unissent les deux pays, notamment des investissements libyens en Tunisie, le colonel Kadhafi aime provoquer et souffler le chaud et le froid sur son petit voisin. Sans conséquences jusqu'ici.