«C'est le calife, Al Mamoun, qui m'exhorta à élaborer un traité qui serait utile à la résolution des problèmes posés par les transactions commerciales, des questions ayant trait à l'héritage, du calcul des aires et des surfaces etc.…», écrit le génial mathématicien Al Khawarizmi (IXe siècle), dans l'introduction de son œuvre magistrale, Hisab al-jabr wa el-mouqabala. Le calife abbasside, on le sait, avait réuni les plus grands hommes de science de son époque dans son académie Bayt el-hikma (La maison de la sagesse) en vue de faire passer l'essentiel du savoir classique par des traductions vers la langue arabe. Al-Khawarizmi, qui fut de la partie, devait encore établir des tables astronomiques et faire des relevés topographiques pour écrire un livre, non moins important, intitulé, La Configuration de la terre. En d'autres termes, le savoir n'a jamais été un luxe, mais bien une nécessité de tous les jours. On a donc une idée sur l'impact de l'œuvre d'Al Khawarizmi dans la vie des hommes et des civilisations d'une manière générale. André Malraux (1901-1976), ne disait-il pas à juste titre dans ses Antimémoires qu'un seul homme pourrait être à l'origine de la splendeur de toute une civilisation ? Al Khawarizmi en était un, à coup sûr, aussi bien pour la civilisation arabo-musulmane que pour la civilisation occidentale puisqu'il est à la base de l'algèbre, discipline on ne peut plus révolutionnaire. Justement, ce qui a toujours dicté l'intérêt de l'homme pour les mathématiques, c'est le besoin quotidien avant tout. On le constate depuis les Sumériens qui étaient déjà parvenus à enregistrer sur des tablettes d'argile les premières numérotations relatives aux transactions commerciales sur les bords du Tigre, en Irak. Au treizième siècle, c'est au tour de l'Italien Leonardo Fibonacci (1170-1250), d'avoir l'honneur de faire, à quelques différences près, la même percée que son prédécesseur, Al Khawarizmi, mais dans le monde occidental. Ce natif de Pise vint rejoindre son père qui tenait un comptoir commercial dans la ville de Béjaïa, alors l'un des grands pôles de civilisation dans l'aile occidentale du monde arabo-musulman. Il y apprit la langue arabe et développa un intérêt certain pour les mathématiques, tout particulièrement pour celles ayant trait à la quotidienneté des hommes. A son retour à Pise, il écrivit son grand traité, Liber abbaci qui est à l'origine de l'introduction en Italie, puis en Europe et dans tout le monde occidental, de la numérotation indo-arabe. Jusqu'à son époque, on continuait à faire usage de chiffres romains, somme toute incapables de se mettre au diapason de la nouvelle science qui commençait à faire son chemin vers la Renaissance. Les pratiques arithmétiques et algébriques nécessaires à la vie de l'homme sur cette terre ont, grâce à Al Khawarizmi et, plus tard, Fibonacci, permis de générer d'autres trouvailles, beaucoup plus complexes et d'une utilité sans faille qui ont changé le monde. Quelle est donc cette probabilité qui a fait naître Al Khawarizmi à l'époque abbasside, et Fibonacci, bien avant la gouvernance de la famille éclairée des Médicis, en Italie ? Question d'ordre métaphysique, pourrait-on hasarder, qui ne s'apprêterait pas à la spéculation mathématique. [email protected]