Ils ont passé cinq heures dans le lycée à prendre tout le matériel informatique. En cinq heures, personne n'est venu à notre rescousse. Les pions et les profs étaient les premiers à partir», raconte un jeune homme. Les cheveux rasés de près, les yeux noisette, plutôt petit de taille, Rabah est en classe terminale. Ils sont cinq jeunes devant le lycée de Cherarba, dans la banlieue est d'Alger, lequel a fermé les portes suite aux émeutes de la semaine dernière. Les quelques bureaux qui dépassent le muret sont noirs de cendre. Vandalisé par les émeutiers et incendié, l'établissement a fermé jusqu'à dimanche pour les secondes et premières, mais doit ouvrir demain pour les terminales. Rabah et ses copains sont juste devant les portes de l'établissement. Ils se taquinent un peu entre eux et ne sont pas trop soucieux pour leur année scolaire. Ils étaient en classe quand les émeutiers ont pénétrés dans le lycée. Ils s'interrogent sur le fait que l'agression ait duré aussi longtemps sans que personne n'intervienne pour calmer la situation. En face d'eux, ils avaient une quarantaine de jeunes qui avaient décidé d'en découdre avec cet établissement. Pourquoi d'ailleurs le lycée de Cherarba ? «Les profs sont nuls, ils pointent et disparaissent la journée terminée. Ils n'ont pas le niveau et n'en ont rien à faire de l'enseignement. C'est voulu tout ça. Les jeunes s'en sont pris à ce lycée, certainement parce qu'ils ont dû passer par-là et ont échoué dans leurs études ou parce qu'ils ont dû jeter l'éponge», poursuit un ami à Rabah. Plus grand de taille et mince, il manifeste de la colère contre l'établissement et prétend que lui et ses camarades sont victimes de ce qui s'est produit. Ils ne connaissent pas les émeutiers, mais ils sont persuadés qu'il s'agit de jeunes des environs. Ils ne se sentent pas grand-chose en commun avec eux même si au bout du compte, au fil de la discussion, les ressentiments exprimés sont les mêmes. «Mais pourquoi s'en prendre au lycée ? C'est doula (le pouvoir) qu'il faut aller brûler», explose Rabah. Mais peut-être que le lycée, pour les émeutiers, c'est doula, justement. Les symboles de la société de consommation. A Kouba, l'entreprise française Renault a brûlé. Une Symbol, une Clio et d'autres modèles de véhicules de la marque ont été carbonisés ou cassés. Les quelques salariés présents sur les lieux tentent de remettre de l'ordre. Certains balaient, un autre prend des notes en évaluant les dégâts. A l'intérieur, des véhicules sont noirs de fumée et cabossés. A proximité de Renault, un magasin propose en vitrine des vêtements pour homme. Assez classe, plutôt chers, les vêtements sont tendances. Le magasin n'a rien subi. Ni le fleuriste d'à côté. Ni le gargotier, un peu plus loin. Les édifices qui portent la marque des émeutes sont Samsung et ses écrans plats qui ont été dérobés. Renault et ses voitures qui, à défaut d'avoir pu être volées, ont été cassées et brûlées. Eniem mais aussi les banques telles que la BNP Paribas ont été dévastées. Le centre commercial de Bab Ezzouar a été pris deux fois d'assaut et deux fois, les émeutiers n'ont pas réussi à y pénétrer. Un copain à Rabah avait dit : «Ils ne sont pas dans le besoin. Ils avaient des joggings à 2000 DA.» Cela suffit visiblement à les discréditer aux yeux de ces jeunes de 18 ans. Ils portent des joggings et des baskets qui coûtent cher, donc le mot d'ordre pour tant de violence ne peut être la faim ou la mal vie. Pourtant, parmi ce groupe de jeunes lycéens, l'un d'eux fera remarquer que eux aussi portent des vêtements qui coûtent cher. Tout le monde est hilare. Ils se font des sortes de tape cinq version 2011, chahutent un peu. Ils sont gênés par la remarque de l'un d'eux. Oui, ils portent tous des tenues à 2000 DA et plus «mais nous, nous n'avons pas brûlé le lycée», insiste Rabah. Eux sont encore dans le circuit scolaire. Peut-être l'école, malgré tout, leur a donné les moyens de canaliser leur colère. Partout, entre Eucalyptus, Cherarba et Kouba, les sites vandalisés sont les symboles de la richesse et de l'accès au bonheur. Sur l'ensemble des établissements étatiques touchés, on compte un nombre important de lycées et de collèges. Les jeunes accusés des émeutes ont 12 ans et plus.