Anxiété Elle ne parvint pas à fermer l??il de la nuit, sentant un danger imminent. L'affiche indiquait clairement qu'un module d'arabe ou d'anglais était obligatoire. Sadjia et Lilia n'en revenaient pas avec tout ce qu'elles avaient comme travail. Elles considéraient ce module comme un frein. Tous les étudiants de la faculté de droit de Ben Aknoun pensaient la même chose. Les inscriptions devaient se faire le jour même. Les deux amies, qui logeaient dans la même chambre à la cité universitaire, étaient ensemble en première année depuis un semestre. Le second s'annonçait dur, ce module supplémentaire n'arrangeait rien. Après concertation, elles décidèrent de s'inscrire au cours d'arabe. Quelle ne fut la surprise de Lilia de découvrir que le prof d'arabe n'était autre que son prof de lycée deux ans auparavant. Elle se souvient alors que toutes les fois où il passait dans les rangs, elle avait comme un frisson dans le dos. Tout s'effaçait devant sa gentillesse et la douceur de sa voix quand il expliquait une leçon. Les élèves étaient tout le temps autour de lui entre les cours et pendant la récréation, sauf elle ; elle restait sur ses gardes. Au bout du quatrième cours, Lilia avait remarqué que le prof d'arabe ne quittait pas Sadjia des yeux. Celle-ci était de plus petite taille que sa camarade, mais plus dodue. Lilia était grande, mince et élancée. Leur point commun était leur longue chevelure châtain clair, leurs grands yeux noisette, leurs lèvres fines... Bref, elles se ressemblaient tellement qu'on les prenait souvent pour des s?urs. Cependant, leurs caractères Ies différenciaient. Sadjia était craintive, timide et tellement naïve qu'elle était prête à suivre toute personne qui le lui demanderait. Elle avait constamment besoin d'être protégée. Lilia, quant à elle, était plus alerte, méfiante de nature, un rare esprit de déduction, rapide dans ses décisions. Sadjia lui faisait confiance et se sentait à l'aise en sa présence. Un soir, alors qu'elles étaient dans leur chambre en train de revoir leurs cours sur «L'histoire des institutions politiques en Algérie», Sadjia était tout heureuse de lui annoncer que le prof d'arabe l'avait invitée à dîner le lendemain. Elle irait à condition que Lilia l'accompagne. Cette dernière acquiesça pendant qu'un vent de glace traversa la pièce de toute part. Elle ne parvint pas à fermer l'?il de la nuit, sentant un danger imminent. Elle s'était promis de la dissuader d'y aller. Elle lui répondit d'une voix insistante qu'elles avaient rarement l'occasion de sortir. Dix-neuf heures, heure du rendez-vous. Elles étaient là, toutes pimpantes : normal, elles ont mis plus d'une heure pour se préparer. Les soirées étaient froides en ce mois d'avril, elles portaient toutes les deux des pantalons avec des pulls en laine. Lilia avait un manteau, Sadjia un imperméable. Lilia serra la main de son amie et lui dit : «Entrons vite.» Au même instant, le prof d'arabe arriva, dans une vieille DS Palace, accompagné d'un copain. Lilia ne voulait plus partir, elle était comme prise d'une indescriptible angoisse. Trop tard, le prof les aperçut malgré le grand nombre de personnes devant le portail. Son sourire balaya d'un seul coup son angoisse. Il demanda à Sadjia de monter à l'arrière et à elle à l'avant, ce qui lui déplut. Sa copine ne s'en formalisait pas, mais cela ne l'empêchait pas de se poser des questions. - «Direction Dély Ibrahim...», dit le prof. «Il y a un petit restaurant qui fait du canard à l'orange dont vous me direz des nouvelles. C'est un véritable délice ...». Puis, il se figea. «Les chiens ! J'ai oublié de leur donner à manger, il faut que j'y aille... Ce n'est pas loin, c'est à vingt kilomètres avant d'arriver à Boufarik, j'y habite, et puis, il est encore tôt, cela fera une bonne petite promenade avant de dîner...». Lilia paniqua, elle voulait que l'on remette le dîner au lendemain, mais son amie lui donna une petite tape sur les épaules et lui dit : «Ne t'en fais pas, nous manquons tellement de détente qu'une promenade ne nous ferait que du bien, n'est-ce pas ?». (à suivre...)