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Pour la construction d'un Front démocratique et social
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Publié dans El Watan le 12 - 01 - 2011

Depuis quelques jours, le pays est confronté à des émeutes d'ampleur nationale. Une grande partie de la jeunesse exprime son exaspération et son désespoir face à un pouvoir autoritaire, autiste et méprisant.
Bien que désorganisée, sans mots d'ordre apparents et sans revendications clairement formulées, cette jeunesse n'en délivre pas moins un puissant message politique : celui du rejet d'un système corrompu, historiquement condamné et politiquement déliquescent. Un système qui ne doit sa survie qu'à la rente pétrolière, sa gestion brutale et violente de la société et la complaisance des Etats occidentaux. En tentant de réduire cette révolte à sa seule dimension économique, celle d'une augmentation soudaine et brutale des prix de certains produits de première nécessité, les autorités cherchent à l'expurger de toute dimension politique en l'inscrivant, comme un message, à l'adresse de l'opinion internationale, dans la série des «émeutes de la faim» que connaissent certains pays dans le monde du fait de la spéculation des marchés financiers sur les matières premières. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une remise en cause du système, mais d'un simple «cri du ventre» qu'une simple réunion interministérielle calmera !
Du déjà entendu ! Qu'on se remémore les événements d'Octobre 1988, qualifiés à l'époque de «chahut de gamins», qui ont fini par provoquer une brèche démocratique. Il est vrai que le contexte politique national et surtout international de l'époque l'avait favorisée.
La violence comme seul recours
Aujourd'hui, les données politiques ont changé. Depuis l'arrêt du processus démocratique en janvier 1992, les décideurs se sont appliqués à détruire les espaces démocratiques conquis grâce aux événements d'Octobre 88.
Une fiction de vie politique, sur fond d'élections truquées, est orchestrée par le régime, pour des besoins de consommation extérieure, en encourageant et en finançant des partis, des associations et des syndicats totalement fictifs, coupés de la réalité. Structurés de façon informelle autour des seigneurs du pays, ils se sont accaparés des richesses du pays pour les détourner à leur seul profit et celui de leur clientèle.
La privatisation des institutions de l'Etat a abouti à l'aggravation du fossé qui les sépare d'un peuple réduit à assister, sans aucun recours, à la constitution de fortunes colossales, aiguisant en lui un légitime et vif sentiment d'injustice.
Comment s'étonner dès lors d'assister de façon sporadique à des irruptions violentes, conséquence d'un ras-le-bol généralisé d'une jeunesse, privée de tout et même du droit de... rêver ?
Le recours à la violence n'est que la résultante de l'absence de canaux d'expression démocratiques. Ce serait une faute politique majeure que de tourner le dos à une révolte sous prétexte d'immaturité politique. L'obligation morale et politique qui s'impose aux authentiques militants de la démocratie, des droits de l'homme et de la justice sociale, au-delà d'un simple témoignage de solidarité, est de transformer une révolte en une grande force politique et sociale agissante.

Des opposants mais pas d'opposition !
En effet, beaucoup parmi nous expriment aujourd'hui la nécessité d'un encadrement politique en mesure de capter le sentiment légitime de révolte en le traduisant en un projet politique alternatif. Mais, hélas, tout cela ne s'improvise pas ! Certains, légitimement, vont même jusqu'à s'interroger sur l'existence d'une vraie opposition en Algérie. Cette interrogation ne se veut pas comme une provocation pour de nombreux militants qui tentent de résister, avec courage et bravoure en Algérie. Mais entendons-nous bien, à l'heure actuelle, il n'y a que des poches de résistance, mais pas une grande organisation démocratique et sociale en situation de traduire la révolte, de lui donner un sens et un débouché politiques. Sans accabler injustement les partis démocratiques, encore qu'il faille s'expliquer sur le sens à donner au terme «démocratique», il faut reconnaître qu'ils en sont réduits à n'être que de simples appareils sclérosés dont certains de leurs dirigeants sont plus attentifs aux «chants des sirènes» du pouvoir qu'aux «pulsations» émanant du cœur de la société.
Il est vrai que l'état d'urgence, la répression de toute forme d'expression politique et sociale pacifique, le système de corruption et de retournement des élites politiques acquises à la démocratie et à la justice sociale, n'auront pas permis le développement et l'enracinement de forces sociales et politiques autonomes.
Ne disposant pas de relais importants dans le cœur de la société, les partis dits démocratiques, sont condamnés à une certaine impuissance, qu'ils tentent maladroitement de théoriser pour échapper aux critiques de leurs militants et de leurs sympathisants.

Que périsse l'Algérie plutôt que le système !
Les appareils de sécurité, à leur tête le puissant DRS, ont ainsi le champ libre pour imaginer et concevoir, en toute impunité, les stratégies politiques meurtrières qui n'en finissent pas de plonger notre pays dans le plus profond des abîmes.
L'épouvantail islamiste et la lutte antiterroriste leur ont permis et leur permettent encore de neutraliser toute remise en cause et d'étouffer dans l'œuf toute amorce d'une quelconque forme de pression internationale. Ils ont su mettre à profit les attentats du 11 septembre 2001 et les thèses du «clash des civilisations» qui sert de grille d'analyse, de façon consciente ou inconsciente, aux élites et aux opinions publiques occidentales. Même les milieux progressistes, jusqu'alors critiques envers le régime algérien, se sont littéralement couchés face à l'émergence d'un sentiment de plus en plus répandu d'islamophobie et à la crainte de voir s'«exporter le terrorisme» en Occident. Les réactions quasi pathologiques contre «l'islamisation de la société occidentale» et la montée des mouvements xénophobes et identitaristes, en Europe notamment, renforcent de façon mécanique les dictatures nationalo-populistes ou prétendument «laïcisantes» dans le monde dit musulman.

L'état de déréliction politique et idéologique des forces démocratiques
Le reflux de l'universalisme humaniste, de la démocratie et des droits de l'homme affaiblissent davantage les forces démocratiques et les contraignent à des positions défensives. Pour celles qui ont orienté l'essentiel de leurs actions politiques vers la recherche d'hypothétiques soutiens internationaux pour provoquer une inflexion du système en place, elles semblent à présent déchanter. Les théories de la «fin de l'Histoire», prophétisant un triomphe mondial et quasi irréversible de la démocratie et de l'économie de marché, comme si ces deux notions constituaient un couple inséparable, sont démenties par les faits. Pour d'autres qui misent sur des dynamiques internes au système, espérant, comme par miracle divin, une prise de conscience salvatrice au sein des décideurs militaires vont encore longtemps camper dans leurs confortables salons, en guettant le moindre signe de tel ou tel autre ponte du régime ! La gigantesque manne financière les incite à davantage de voracité qu'à un sursaut patriotique. Cela sans jeter l'anathème sur toute l'institution militaire. Quant aux «démocrates» qui ont accompagné le régime dans la mise au pas progressive de la société et l'isolement des vraies forces démocratiques au nom de la lutte anti-islamiste, ils portent une lourde responsabilité. A défaut de s'amender ou de se «repentir», ils seront toujours considérés comme complices des «services», semant la confusion et brouillant les enjeux politiques réels. En tout cas, ils sont nombreux, parmi leurs soutiens, qui ne se laissent plus berner par l'idée mystificatrice d'un pseudo-affrontement entre un «bloc moderniste» et un «bloc islamo- nationaliste» au sein du pouvoir.
Que faut-il donc attendre des événements actuels ?
Cette description de l'état des forces démocratiques peut paraître pessimiste, voire démobilisatrice ; mais le but recherché, en forçant le trait, est de susciter un vrai débat entre acteurs du changement démocratique dans la perspective de la construction d'une grande force politique et sociale capable d'imposer une alternative démocratique. Ne soyons donc pas dupes. Les événements actuels n'auront peut-être pas d'effet immédiat sur la réalité du pouvoir, ils ne représentent pas non plus une menace directe pour les «rapaces» qui nous gouvernent, pour toutes les raisons déjà évoquées. Ils seront probablement instrumentalisés par tel ou tel autre clan ou faction du régime. Au profit de qui ? Toufik ou Bouteflika, ou d'autres encore? On s'en moque ! Du pareil au même !
En revanche, ce qui est essentiel, c'est que ces événements démontrent que les ressorts de la société ne sont pas cassés et que les espoirs d'une démocratisation ne sont pas chimériques. Ils doivent pour cela nous servir de point de départ pour la cristallisation d'une vraie conscience politique démocratique, indispensable à la construction d'une alternative démocratique et sociale.
L'exemple donné par nos amis de l'opposition tunisienne doit nous inspirer. Les luttes démocratiques doivent se structurer autour de mots d'ordre clairs et mobilisateurs, tels que la levée de l'état d'urgence, le rétablissement des libertés politiques civiles, la fin du monopole sur les médias publics, la justice sociale... Ces revendications peuvent trouver un écho très large et servir de base consensuelle aux partis, associations, syndicats ou militants indépendants engagés dans la construction de l'alternative démocratique. Pour y parvenir, il est impératif de repenser le projet de transformation démocratique en dépassant le faux clivage entre Démocratie, République et Islam et en l'inscrivant dans le cadre des nouvelles solidarités internationales de résistance à un capitalisme financier mondialisé qui sape les fondements de la paix, de la démocratie et de la justice partout dans le monde.

Samir Bouakouir, Ancien porte-parole du FFS


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