Des Tunisiens installés en Algérie, sur la bande frontalière avec la wilaya de Souk Ahras, n'ont pas lésiné sur les mots pour exprimer leur joie de voir leur pays rompre avec 23 ans de totalitarisme et de monolithisme imposés par le président déchu et ses alliés, les Trabelsi. A Sidi Fredj, comme à Heddada, Merahna, Aïn Zana et plusieurs autres localités où vivent des familles natives de Tunisie, et autres personnes issues de mariages mixtes, la nouvelle du départ du président Ben Ali était assimilée à un jour d'indépendance. Les cris de joie et les slogans favorables au renouveau n'ont pas cessé depuis vendredi soir et des youyous ont fusé en différents endroits du territoire tunisien, provoquant parfois des répliques du côté algérien. En plus des chaînes satellitaires, le téléphone assurait, depuis le premier jour des manifestations, le contact entre Tunisiens résidant à Souk Ahras et cousins vivant en Tunisie. Nous avons recueilli des déclarations auprès de certains parmi eux. L'euphorie était présente à travers les propos de la majorité de nos interlocuteurs, qui voient une ère nouvelle s'annoncer pour un peuple qui vient de prouver au monde entier son mérite de la démocratie et d'une vie décente. «Le soulèvement populaire est l'expression d'un malaise profond et d'une rupture totale de Ben Ali avec le peuple. L'échec du pouvoir qui était en place est l'aboutissement logique de toute dictature», nous a déclaré Mohamed L., un universitaire vivant à Annaba, de passage à Souk Ahras. Il citera, à profusion, des exemples de dépassements enregistrés en Tunisie depuis l'investiture du président déchu. Tortures, atteintes aux libertés individuelles et collectives, arrestations illégales, népotisme, dilapidation des richesses de la nation… font partie du lot des agissements d'un pouvoir sans scrupules et dépassé, selon lui, par le temps. Hamma, un journalier travaillant dans le secteur de l'agriculture, du côté de Khedara (commune), nous parle, quant à lui, du chômage qui sévit dans sa ville natale, Djendouba, disant : «Des Bouazizi (le jeune homme qui s'est immolé par le feu) il y en a au moins une centaine dans le quartier où je vis avec mes 5 frères et sœurs. Il nous arrive très souvent d'avoir faim. Le changement apportera des jours meilleurs, nous en sommes sûrs.» De Merahna, un citoyen joint par téléphone se dit fier d'appartenir à un peuple qui vient de redonner aux jeunes l'espoir en une vie meilleure. «Notre vie était faite d'interdits et de peur. Personne n'osait demander son dû même auprès des plus humbles des représentants du pouvoir ou de l'administration publique», a-t-il dit. Ammi Ali Gafsi, comme on aime l'appeler, est un Tunisien qui vit en Algérie depuis bien longtemps. Ses enfants sont actuellement à Radaïf, dans la wilaya de Gafsa. Rencontré à Bir El Ater, il nous dira : «Dieu merci, j'ai maintenant 78 ans et je viens de vivre une véritable indépendance. Quand j'ai appris la fuite de Ben Ali, j'ai eu les larmes aux yeux, moi qui ai côtoyé les deux régimes de tyrannie, ceux de Bourguiba et de Ben Ali, vraiment c'est un rêve, pour moi et pour tous les Tunisiens, qui vient de se concrétiser, un grand moment tant attendu ; pour la première fois, je vois un peuple soudé derrière une cause.» «Une page noire de l'histoire vient d'être tournée» Concernant le discours du président déchu, il dira : «Un discours mensonger, il m'a rappelé celui de de Gaulle quand il s'était adressé aux Algériens en leur disant ‘je vous ai compris !' Quelle imposture !» Pour lui, ce qui vient de se passer n'est qu'«un début. Le plus gros reste à faire, après que ce régime dictateur a été déchu, il est grand temps de passer à l'acte, de mettre sur pied un dispositif démocratique pour que le peuple tunisien dise son dernier mot, choisisse son président et ses parlementaires». Il ajoute : «Les deux dictateurs nous avaient été imposés, on ne les a jamais élus. Je les (les Tunisiens) exhorte à donner la belle image d'un peuple militant, martyr d'une cause ; je leur dirai de sortir dans la rue, de danser, de chanter, une page noire de l'histoire vient d'être tournée.»