La «révolution de jasmin» passionne la presse internationale. Si les journaux arabes se montrent admiratifs de la révolte tunisienne et s'interrogent sur les effets de dominos dans la région, les Français raillent le silence de leur gouvernement, soucieux de préserver les relations avec leur ami tunisien. La presse tunisienne, elle, découvre avec une délectation non dissimulée la liberté d'expression…Extraits. Presse arabe : «À qui le tour ?» S'inspirant du célèbre vers du poète Abou El Kacem El Chabi, «si un jour le peuple aspire à la vie…», l'éditorialiste du journal El Quds Al Arabi se prend à rêver d'un printemps démocratique arabe. Il souligne que le vent de l'intifadha souffle sur le monde arabe. «Les jeunes Tunisiens ont commencé à manifester pour le pain et la dignité, suivis des Algériens et voilà que la révolte parvient jusqu'en Jordanie, souligne le commentateur du journal. Le vent de la révolte ne passe pas, pour l'heure, dans la région qui est le plus en droit de protester : l'Egypte. Mais la terre égyptienne porte en elle les graines de la contestation et cela ne saurait tarder.» Certains analystes arabes restent néanmoins prudents et ne savent comment interpréter ces événements : «Le problème, en Tunisie, c'est que personne ne sait où va le pays. Tout le monde est berné par de faux chiffres que distillaient le régime tunisien ainsi que les institutions internationales. On ne sait si les protestations de la rue tunisienne étaient organisées ou si c'était le résultat logique de la fermeture politique ; on ne sait si le pouvoir va passer des mains d'un dictateur à un autre ou s'il s'agit d'un changement vers une vie meilleure pour les Tunisiens. Nous ignorons encore si la Tunisie est définitivement sortie de son verrouillage, si elle plonge dans les abysses de l'inconnu, enrichissant ainsi la série des catastrophes que connaît le monde arabe.» Un autre commentateur suggère à Hillary Clinton d'ouvrir une île, à la manière du camp de Guantanamo, pour accueillir les dictateurs du monde arabe qui pourraient encore tomber. «Ceux-là, dit-il, sont bien plus dangereux que les terroristes.»
Presse tunisienne : les langues se délient… Les journaux tunisiens ont publié hier leurs premiers éditos et commentaires non dictés par le régime. Pour ceux qui avaient l'habitude de vanter les mérites du système Ben Ali, l'exercice est parfois délicat. Egrenant un chapelet de reproches au dictateur déchu, l'éditorialiste du journal le Temps dit comprendre la «déroute» de ses lecteurs. «Nous imaginons la réaction légitime de nos lecteurs : pourquoi ne dire cela que maintenant ? Non, les écrits sont là : nous y faisions allusion, mais nous positivions», écrit-il. Et de reconnaître : «Oui, on a sous-estimé le courage des Tunisiens.» Le journal tunisien souligne : «Ceux qui connaissent bien le Maghreb vous diront que Marocains, Algériens et Libyens craignent terriblement les embrasements en Tunisie. Et cela depuis le 9 Avril 1939. C'est toujours chez nous que se déclenche le feu. Il est aussi dans leur intérêt qu'il s'éteigne au plus tôt...» Du mal naît le bien, cependant. «La Tunisie saura retrouver sa cohésion. Il n'y a qu'elle qui soit «Président, ou plutôt Présidente à vie''», est-il précisé. Et le journal El Sabah de prévenir : «Aujourd'hui que le despote est parti, que la toile d'araignée n'est plus et que les Tunisiens se sont réveillés sans Ben Ali, la Tunisie est définitivement entrée dans une ère nouvelle, la plus difficile de toutes, parce que la transition vers la démocratie est bien plus difficile que la sortie de la dictature.»
Presse française : le silence de la France pointé du doigt
La presse française stigmatise le silence des autorités françaises et s'inquiète de l'avenir de la Tunisie après que son président ait quitté le pays. Libération se moque ainsi du «grotesque successeur du grand Bourguiba, flic en chef d'un des régimes les plus féroces de la région, qui n'était qu'un pleutre, et quand le peuple insurgé lui a signifié son congé, il est parti la queue basse». «Il y a un parfum de 1830 dans cette chute d'un fantoche renversé par des gavroches, dans cette révolution à la française au cœur du Maghreb, dans ces Trois Glorieuses déclenchées par Internet et les militants des droits de l'homme, avec un Charles X aux cheveux teints qui monte en avion comme jadis on fuyait en calèche», écrit encore Libération. «Ce régime était en toc et tous ceux qui l'ont tenu à bout de bras au nom d'une realpolitik des imbéciles doivent maintenant expliquer pourquoi celui qu'ils tenaient pour un rempart solide contre les islamistes est tombé comme un château de cartes», poursuit-il.