Les tentatives d'immolation par le feu se sont multipliées, ces derniers jours, à travers le pays, portant à son paroxysme le sentiment de désespoir qui ronge des jeunes Algériens en proie au chômage et à la mal vie. Des faits dramatiques qui interviennent à l'orée de la célébration du cinquantenaire de l'Indépendance du pays. Des citoyens, ayant épuisé toute leur énergie pour tenter de recouvrer leur dignité, se transforment en torches vivantes pour lancer un ultime cri de détresse. Des faits et des images qui interpellent l'opinion et effraient les autorités en place. C'est l'étincelle tant redoutée qui risque de mettre le feu aux poudres, de transformer une colère sourde et profonde en explosion aux conséquences imprévisibles. Le jeune citoyen de Tébessa, qui avait subi un traitement humiliant à l'APC où il était allé à la recherche d'un emploi, a heureusement survécu à sa tentative d'immolation. L'empressement du wali à dissoudre l'Assemblée communale dénote la fébrilité du pouvoir devant les manifestations extrêmes du désespoir des jeunes. L'Etat veut se donner le beau rôle en tentant de transférer la colère populaire contre les élus. Or, l'échec est avant tout celui de l'Etat, même si ses représentants les plus éminents feignent de l'ignorer. Ainsi, au cours des dernières émeutes ayant secoué le pays, le ministre de l'Intérieur n'avait pas hésité à reprocher aux jeunes de se révolter dans la violence au lieu de trouver un «dérivatif» dans le sport et les loisirs. L'Etat ne se sent donc nullement responsable de la faillite généralisée du secteur de la jeunesse, de l'absence, dans le pays profond, d'infrastructures destinées à cette frange de la population, celle qui, en d'autres temps, était appelée «les forces vives de la nation». Les cantonnements des services de sécurité, les tribunaux et les prisons poussent beaucoup plus vite que les stades de football, les maisons de jeunes et autres centres culturels, sans parler des postes d'emploi. L'Etat est en droit de moderniser ses structures, mais il commettrait l'erreur fatale s'il omettait de penser au bien-être de la population, à la répartition équitable des richesses. Lorsque le feu s'allume, il est souvent trop tard pour l'éteindre. Quand trop d'injustices se sont accumulées, quand les humiliations s'ajoutent aux privations, une brimade policière, un poste d'emploi refusé peuvent être à l'origine d'un cataclysme politique. Le président tunisien déchu pensait pouvoir négocier avec son peuple sa fin de mandat, quelques heures avant de quitter précipitamment le pouvoir et le pays. Son régime autocratique, bâti pendant un quart de siècle, a été liquéfié en moins d'un mois d'émeutes. Après le cycle des indépendances vient poindre celui des émancipations. Le reste n'est que vaines répressions policières.