Le changement ne peut se faire que sous la forme d'une «implosion», qu'on peut appeler «l'alternative provenant de l'intérieur», et bien sûr tout ce qui forme l'essence même du système. Marx disait dans son Idéologie Allemande : «Il ne suffit pas d'expliquer le monde, il faut savoir aussi le transformer», et en ce qui concerne notre pays, il faut avoir le génie de le recomposer.Les problèmes de l'Algérie sont à la fois généraux et quotidiens, on peut même dire : pratiques.Le risque auquel il ne faut pas céder, c'est d'être happés par les vicissitudes de la réalité quotidienne, alors qu'il est nécessaire de la transcender afin de recouvrir la liberté et la dignité ; on ne peut résumer la «Vie» de l'Algérien comme étant simplement le fait de vouloir satisfaire les besoins biologiques élémentaires, il ne s'agit pas de réduire le citoyen à une simple «carcasse», dépourvu de son essence, qui n'est autre que sa liberté ; sa «Vie» ne peut s'expliquer par de simples comportements physiologiques. Les problèmes auxquels nous devons réfléchir sont assez sérieux pour que nous fassions l'effort intellectuel du «dépassement» de l'étude du politique à la «praxis» des actes politiques, c'est-à-dire de la réflexion théorique à l'engagement pratique. D'un côté, il y a des gens qui disent : «Regardez, la démocratie l'emporte, les régimes autoritaires tombent partout , et le dernier en date est le régime policier tunisien», cela s'explique par une sorte de «mouvement naturel des choses». Un des hommes qui ont parlé ainsi, Francis Fukuyama, a imaginé une sorte de mouvement naturel des choses qui porte vers la démocratie (Alain Touraine). Espérons que ce «mouvement naturel des choses» nous évitera la politique «de la terre brûlée», et que la démocratie s'installera chez nous, chose que j'appréhende énormément, car il est reconnu que que notre «Ame» «violée» par la force ne peut recouvrer sa «virginité» que par la «force» ; mais il y a une cause beaucoup plus «sérieuse», c'est le fait de la «malédiction du pétrole», pour ne pas paraphraser DSK, patron du FMI, car le pouvoir et tous ceux qui font semblant de défendre la démocratie dans les discussions de salon, ainsi que les soi-disant intellectuels n'oseront jamais hypothéquer leurs privilèges par un quelconque acte ; au contraire, à chaque fois que la rue gronde, ils se «terrent» comme les «rats d'égouts dégoûtants», Roza Luxembourg et Gramsci les ont déjà condamnés vis-à-vis de leur «traîtrise historique», que dire de l'élite qui n'est en fin de compte que le «sous-traitant rentier du pouvoir corrupteur», et que le philosophe allemand Hegel désignait déjà sous le vocable déshumanisant de «conscience misérable» ; sans oublier bien sûr les pseudo intellectuels qui s'adonnent à la satisfaction de leur «ego revanchard» à travers les chaînes satellitaires, et en particulier Al-Jazeera. Que faire ? Telle est la question consubstantielle à notre réalité socio-politique, qui est très différente de la réalité sociopolitique tunisienne. Notre «compréhension sociologique», comme disait Max Weber s'appuiera sur un constat et une proposition. Il s'est avéré et c'est apodictique, que vouloir enclencher un processus de démocratisation à l'extérieur du système par le biais de la révolte ou du dialogue échouera lamentablement, car le système politico-constitutionel porte en lui un devenir qui n'est pas progression mais régression vers une fin ultime. Tout se passe comme s'il n'y avait qu'une façon de penser l'histoire de l'Algérie : en porter le deuil, et peut-être pour en supporter l'«inconsolable douleur» nous détourner des affaires de l'Etat comme si on était des sous-citoyens, notre seul devoir c'est de nous retirer dans nos affaires quotidiennes, et nous abandonner à nos égoïsmes mesquins. Pour arriver à cet état structural, c'est le recours permanent à «l'asservissement total de la société par le biais de la corruption», ou bien à chaque fois brandir l' argument de la «légitimité historique», tel est le sentiment irrationnel de toute la composante humaine du système, c'est la logique de décadence qui ne peut supporter l'idée de s'ouvrir sur une autre conscience comme alternative, porteuse d'espoir en l'avenir. Le triomphe sur l'«irraison» ne peut être une providence mais une fatalité ; il faut se faire à cette raison ; de là, je dirais que le changement ne peut se faire que sous la forme d'une «implosion», qu'on peut appeler «l'alternative provenant de l'intérieur», et bien sûr tout ce qui forme l'essence même du système (apparatchik, partis politiques, associations politiques et syndicales, membres du gouvernement et des deux chambres, commis de l'Etat) ne peuvent souscrire à cette démarche, car leur existence matérielle sera menacée (bien acquis frauduleusement), ce qui fait que la seule alternative possible est la suivante : l'émergence d'un groupe au sein de l'armée populaire nationale qu'on appellera des «officiers libres» qui ne font pas partie des groupes des décideurs civils ou militaires, ceux-là ont montré leurs limites intellectuelles et morales, et qui ne peuvent transcender leurs bassesses matérielles, ils sont en dehors de l'histoire ; je parle des jeunes militaires intellectuels qui ne sont pas responsables de la misère et de la désolation de leur peuple, et qui auront pour finalité l'écriture de l'histoire avec un grand H, avec un désintéressement total pour la «matérialité mondaine» et se consacrer corps et âme à la recherche de la vertu idéale ; il en existe, ils doivent exister, ce n'est que par la grandeur de ces hommes qu'on pourra transcender notre misère sociale, morale et politique. Qui parmi les «groupes d'officiers intellectuels» auront le courage et le désir de s'élever aux grandeurs des philosophes afin de rendre au peuple sa dignité et sa liberté et se réapproprier «la révolution confisquée», en provoquant la rupture totale du système politique algérien et la refonte radicale des institutions exécutives, législatives et judiciaires. Eux seulement peuvent nous sortir du marasmes actuel et à venir, car si jamais il y aura une révolte, elle ne sera — encore une fois — qu'une révolte manipulée, et ce sera le peuple qui en subira les conséquences désastreuses, car la composante du système corrompu et corrupteur ne sera jamais inquiétée, leurs épouses, enfants et biens matériels sont déjà bien installés dans des «exils dorés», et ce n'est pas Ben Ali et Leila Trabelsi qui pourront dire le contraire !