L'Egypte s'installe dans l'après-Moubarak Politiquement et psychologiquement, l'Egypte s'est déjà installée dans l'après-Moubarak, même si ce dernier s'obstine à ne pas lâcher les rênes. Au septième jour d'une révolte sans précédent exigeant le départ du «pharaon du Caire», la mobilisation populaire ne baisse pas d'intensité. Bien au contraire, les rangs de «la révolution de la dignité» s'élargissent davantage et le rapport de force est du côté du peuple. La démonstration de force atteindra son apogée, aujourd'hui, à l'occasion de «la marche d'un million» à laquelle ont appelé les forces d'opposition. Ce sera une journée déterminante pour la suite des évènements. Le Caire est passé entre les mains des manifestants alors que Moubarak s'est réfugié dans la station balnéaire de Charm El Cheikh. La nomination du patron des services secrets, Omar Souleïmane, au poste de vice-président et la formation d'un nouveau gouvernement sous la conduite d'un général, Ahmed Chafic, n'ont pas eu les résultats escomptés. La contestation ne fait que s'exacerber et le peuple ne jure que par le départ de celui qui a régenté le pays depuis trente ans. Face à une rue de plus en plus déterminée à faire triompher sa révolution, Hosni Moubarak se trouve coincé entre un peuple qui ne veut plus de lui et une armée plus proche de la rue que du palais de Misr El Gadida (siège de la Présidence). Hier encore, son état-major a rassuré quant à la non-utilisation de la force contre les manifestants. L'armée a considéré que «les revendications des Egyptiens sont légitimes». La messe est dite. Un lâchage. De nombreux observateurs égyptiens estiment que si les manifestants maintiennent la pression, l'armée, qui redoute la durée du bras de fer, tranchera en faveur de la rue et poussera le raïs à quitter ses fonctions. L'on parle déjà de dissensions entre l'institution militaire et le Président sur la gestion de la crise politique. «Concrètement, Moubarak n'est plus le président du pays, il ne gère plus rien. Son obsession est d'éviter une fin semblable à celle de Ben Ali, il négocie une sortie honorable pour se mettre à l'abri des poursuites contre lui et sa famille. Moubarak est devenu un élément d'instabilité pour le pays et pour toute la région, il doit quitter le pouvoir immédiatement», a jugé l'opposant Hamdine Essebahi, président du parti Al Karama (non agréé). D'autres observateurs avancent l'argument médical pour déposer le raïs : «Moubarak est un homme malade, il se rend régulièrement en Allemagne pour des soins, une aubaine pour l'armée et le vice-président de le détrôner, car l'armée ne pourra pas jouer le pompier longtemps», a estimé le journaliste Adem Redouane du quotidien cairote Dostor. L'alternative entre Souleïmane et El Baradei Pour Washington et Tel-Aviv, le désormais vice-président, Omar Souleïmane, est l'homme sur lequel il faudra miser si elles veulent éviter une redéfinition radicale de la carte géopolitique de la région. L'homme est catalogué pro-israélien. Depuis une dizaine d'années, il a multiplié les efforts pour neutraliser la résistance palestinienne. Pour l'Occident, il est celui qui pourrait barrer la route aux Frères musulmans. Cependant, le peuple égyptien, acteur central dans le changement qui s'opère en Egypte, ne veut pas se laisser imposer de nouveaux chefs. Une semaine après le soulèvement populaire, toute l'opposition, des laïcs libéraux jusqu'aux Frères musulmans, a uni sa voix en mandatant le président du Comité national pour le changement, Mohamed El Baradei, pour être «la voix de la révolution». Charismatique, jouissant d'une stature internationale, l'ancien directeur général de l'AIEA est désormais ce leader tant recherché par les manifestants et très redouté par le pouvoir de Moubarak. L'homme, qui n'a pas cessé d'appeler de toutes ses forces à un soulèvement depuis son retour au pays, fait corps avec l'Egypte qui a décidé de se soulever. Il se refuse d'être «taxé» d'homme de l'Occident. «C'est le clan de Moubarak qui fait campagne pour me désigner comme étant un pro-américain. Ma seule légitimité, je la puise de mon peuple ; s'il veut de moi je pourrais conduire le pays vers la démocratie», a-t-il déclaré lors des élections législatives de novembre 2010. El Baradei incarne le changement tant attendu. Il a réussi à jeter des passerelles entre toutes les forces politiques de l'opposition. Son rejet de la guerre contre l'Irak et son insistance à mettre le nucléaire israélien sous le contrôle des inspecteurs de l'AIEA lui valent des critiques très acerbes de la part de Washington et de Tel-Aviv. Ce qu'il arbore avec fierté. Face à un pouvoir très fragilisé, El Baradei, fort d'un soutien populaire et politique, doit relever un défi historique, celui de faire triompher «la révolution de la dignité».