Du nouveau dans le dossier Benyoucef Mellouk, l'homme par qui le scandale des magistrats faussaires est arrivé. L'ancien cadre du ministère de la Justice vient d'exhorter le président de la Cour suprême, Kaddour Berraja, qui occupait le poste de directeur des magistrats en 1981, d'apporter son témoignage sur cette affaire qui perdure depuis 1992. Profitant du dépôt par son avocat, Me Mokrane Aït Larbi, du mémoire auprès de la Cour suprême, l'ancien cadre du ministère de la Justice, Benyoucef Mellouk, l'homme qui a fait éclater l'affaire des magistrats faussaires, a lancé un appel au 1er président de la Cour suprême, Kaddour Berraja, lui demandant de révéler ce qu'il sait de ce dossier. Dans cette lettre d'une page, Mellouk écrit : «Vous qui détenez à ce jour le dossier de cassation transmis par la cour d'Alger, relatif à l'affaire des magistrats faussaires, dont nous avons fait la découverte suite aux circulaires réglementaires des moudjahidine, alors que vous étiez au cours de cette période (1981) directeur des magistrats, vous m'avez demandé le dossier confidentiel de M. Mohammedi sur instruction de son fils, ex-secrétaire général du ministère de la Justice, ainsi que les directives de Si Hadj Benyelles, ex-secrétaire général, sur l'assainissement des dossiers des magistrats en 1984, je vous demande de libérer votre conscience pour cette affaire qui perdure depuis 1992 auprès des tribunaux, avec 4 procès, 3 pourvois en cassation et 4 arrestations en 1992, 1997, 1999 et 2007.» Mellouk poursuit : «Je vous rappelle qu'en 1992, M. Boudjemaâ Aït Aoudia, directeur général du personnel, m'a demandé de lui remettre les dossiers originaux de Kherroubi Abderrahim, procureur général adjoint à la Cour suprême et de Mohammedi Mostapha, président de chambre à la même cour. Voulez-vous par devoir, au nom des martyrs et de l'histoire authentique, de dire honnêtement la vérité». Il sollicite son témoignage sur cette affaire, pendante au niveau de l'une des chambres de la Cour suprême, en précisant : «Moi, je dénonce la puissance du clan Mohammedi, ex-ministre de l'Intérieur, et les autres, et ces derniers se trouvent aujourd'hui dans les rouages de la justice et du régime. Des individus faisant partie de la mafia politico-judiciaire qui maintient la hogra, l'injustice et la corruption.» Par cet appel, Mellouk veut en réalité un témoin à décharge qui le disculpe de toute inculpation de diffamation, parce que, selon lui, il n'a fait que révéler une vérité, découverte à la faveur d'une enquête menée sur instruction de sa hiérarchie et pour laquelle il avait été poursuivi, sept ans après l'éclatement du scandale par deux anciens ministres Mostefa Mohammedi, de l'Intérieur, et Mohamed Djeghaba, des Moudjahidine. Mellouk avait fait état en 1992, avec preuves à l'appui, que les proches de ces deux responsables faisaient partie de la liste des magistrats faussaires. Au début du mois de février 2008, soit 9 ans plus tard, Mellouk est déféré devant le tribunal de Sidi M'hamed qui le condamne à 4 mois de prison ferme, en dépit d'une majestueuse plaidoirie de son avocat Me Mokrane Aït Larbi, rappelant au jeune magistrat qui présidait l'audience le principe de la prescription. A l'issue de ce procès auquel ont assisté de nombreux citoyens et anciens moudjahidine, le verdict tombe comme un couperet, suscitant moult réactions. La première est celle du concerné lui- même, qui, dès sa sortie du tribunal, déclare : «C'est la mafia politico-judiciaire qui m'a condamné», défiant par la même occasion les deux ex-ministres de l'affronter «devant les Algériens sur le dossier des magistrats faussaires pour faire éclater la vérité…». Moins de deux ans après avoir fait appel, Mellouk apprend incidemment dans les couloirs du palais de justice Abane Ramdane, à Alger, que son affaire est enrôlée et jugée à «huis clos». Mellouk est condamné par défaut à une peine de 4 mois de prison ferme. Pour lui, il s'agit «d'une négligence délibérée» qui a pour but de le sanctionner pour avoir dit la vérité. Les preuves qu'il détient depuis 1992 sont des dossiers accablants pour plus de 300 cas de magistrats faussaires ayant utilisé la corruption pour obtenir des postes de responsabilité. A cette époque, Mellouk était fonctionnaire au service des affaires sociales et du contentieux du ministère de la Justice. Il venait d'étaler les résultats de son enquête sur les colonnes de l'Hebdo libéré, (un journal qui a disparu), en réclamant une enquête judiciaire. En réaction, c'est contre lui et le journal que la machine judiciaire est actionnée par Abderrahim Kherroubi, ex-ministre de la Justice. Poursuivi pour «vol et divulgation de dossiers confidentiels», il est condamné en 1997 à une peine de trois années avec sursis. Durant sa détention préventive, certains dossiers sur lesquels il a travaillé sont subtilisés. Sorti plus fort de cette épreuve, Mellouk exprime sa volonté de continuer à «démasquer les harkis tapis dans les rouages de l'Etat, et qui pour bon nombre d'entre eux occupent de hauts postes de responsabilité». Il s'en prend publiquement à «ceux qui ont falsifié l'histoire de la Révolution». Selon lui, l'affaire des magistrats faussaires «implique plusieurs ministres de la Justice, et le dossier en béton, qu'il affirme détenir, contient 200 affaires de corruption, d'abus d'autorité et 300 affaires de faux et usage de faux, mettant en cause de nombreuses personnalités dans le gouvernement. De nombreux cadres de la justice n'ont jamais participé à la guerre de Libération et certains, après vérification des faits, étaient entre 1954 et 1962 au service de l'administration coloniale et membres du Comité de salut public alors que d'autres faisaient partie de la promotion Lacoste et des harkis». Le dossier a atterri une fois de plus à la Cour suprême, et l'avocat a déposé, hier, son mémoire. La décision sera prise dans les trois mois à venir. La question qui reste posée est de savoir quelle position adoptera Kaddour Berraja, le 1er président de cette haute juridiction, lui qui connaît assez bien l'affaire, pour l'avoir diligentée, alors qu'il était directeur des magistrats.