La chéchia stamboul au Sport nautique d'Alger, avec ou sans kechabia. C'était lui, et cela ne pouvait être que lui. Quand le phénix ombrageux se posait dans les lieux tout s'arrêtait. Ammi Hassan le passeur, aujourd'hui disparu, se levait de son pas pesant pour apprêter la barcasse. Avec lui, Ammi Abderrahmane, Ammi Boussaâd et Ammi Bouzid ne déparaient pas. Tous des vieux loups de mer. Des figures burinées par les tempêtes et les embruns. Et tout le bonheur au visage comme tout vieux marin battu par les mers. Ce sont aujourd'hui de tranquilles retraités. Abderrahmane Sahraoui a été le premier patron du Sport nautique d'Alger au lendemain de l'indépendance, et il a réalisé un travail à peine croyable pour le sport de voile et les sports nautiques en général. Comme ses acolytes, Bouzid et Boussaâd, il avait beaucoup bourlingué. Leur domaine à eux, leur jardin secret, c'était la navigation de plaisance, où en qualité de marin ils ont rempli leur existence, labourant la Grande bleue. Ammi Hassan, le passeur, était un être frêle d'apparence, des yeux bleus mouillés par on ne sait quels nuages, d'énormes moustaches qui lui couvraient le visage et un tricorne qui devait dater de Napoléon III, à moins qu'il ne fut une prise de ses aïeux - nos aïeux les corsaires que chante si bien Guerrouabi dans Korsani Ghennem. Lorsque Ammi Hassan transporte le cheikh, il a l'esprit ailleurs : il sait une chose, déposer El Hadj sur le Casbah, ce superbe huit mètres jauge internationale (8MJI) de Yacef Saâdi. Et puis, il s'en retourne au quai. Le cheikh lance sa palangrotte, et on a alors le sentiment qu'il se coupe du monde. Une heure, deux heures, trois heures..., le cheikh fait un signe qui n'est pas perceptible au commun. Et il rentre. Il m'a fait le privilège de lui assurer la navette entre le quai et le Casbah, et je crois qu'il l'a fait pour ne pas faire descendre Ammi Hassan de ses nuages. Mais je crois aussi qu'il fuyait ces faux courtisans qui lui collaient aux basques et qui l'insupportaient. Ce que je puis assurer, c'est que sa palangrotte ne lui a jamais rapporté de poisson. S'il plongeait sa ligne dans la mer, son regard, toujours recherchait la colombe El H'mem ce superbe poème qui est de sa plume, et qui aujourd'hui encore nous remue et nous fait rêver, le nez dans les nuées. Il me reste de lui - du moins ma famille - un buste taillé dans le bois par mon jeune frère Mustapha qui fut mandoliniste et guitariste dans l'orchestre El Djazaïria El Mossilia. Lui aussi, l'avait connu et il en a sculpté les traits d'une manière saisissante, « in vivo ».