Fidèle à sa réputation de bulldozer, le Premier ministre israélien Ariel Sharon n'a pas hésité à claquer la porte du Likoud, le plus grand parti israélien de droite, dont il était l'un des principaux fondateurs en 1973. Cet homme âgé de plus de 74 ans, qui faisait face à une rébellion au sein de ce parti, croit fermement en son avenir politique. Il vient de créer un nouveau parti, « Kadima » (en avant), qui a tenu, jeudi à Tel-Aviv, sa première réunion plénière, alors que ses anciens compagnons préparaient sa relève, en vue des élections anticipées programmées pour le 28 mars. La vice-ministre de l'Intérieur, Ruhama Avraham, qui a rejoint les rangs du nouveau parti, a qualifié, dans une interview à la radio, l'établissement de cette formation de centre-droite d'« historique ». « Plus de rébellion, plus d'intrigues politiques. Ce qui compte, c'est le bien de l'Etat », a-t-elle ajouté, en allusion aux luttes internes qui déchirent le Likoud dont une partie des députés, hostile au retrait de la bande de Ghaza, s'était rebellée contre Sharon. Avec ce départ, le Likoud, majoritaire actuellement à la Knesset (Parlement israélien), risque de perdre la moitié de ses sièges aux prochaines législatives. Trois hommes, en l'occurrence Benjamin Netanyahu qui était à la tête des détracteurs de Sharon, Sylvain Shalom, le ministre des Affaires étrangères, et Shaoul Mofaz, le ministre de la Défense, se disputent la direction de ce parti qui vit un véritable séisme. Selon les sondages, Kadima pourrait remporter 33 des 120 sièges du prochain Parlement. « Sharon, un leader fort pour la paix » est le slogan de ce parti à ces élections. Kadima espère profiter de la grande popularité dont jouit Sharon actuellement au sein de la société israélienne, qui le considère seul capable de mater les Palestiniens et de leur faire accepter une paix made in Israël, qui dénigre à ces derniers leurs droits fondamentaux . Au lieu d'un Etat palestinien libre, souverain et indépendant sur la totalité des terres de Cisjordanie, de la bande de Ghaza et de la ville Sainte d'El Qods, occupées par Israël en 1967, ainsi que le retour dans leurs foyers des réfugiés palestiniens, Sharon propose un pseudo- Etat sur une partie de ces terres, ne jouissant pas de continuité territoriale, car il compte garder tous les blocs de colonies, ainsi que la ville Sainte au sein des limites de l'Etat hébreu. Par ailleurs, Sharon ne reconnaît pas aux réfugiés palestiniens, chassés de leurs terres et de leurs foyers en 1948, le droit au retour. Les Palestiniens, eux, ne se font pas beaucoup d'illusions. Tout indique que si Sharon est reconduit à la tête du nouveau gouvernement israélien, rien ne l'empêchera de poursuivre sa politique du fait accompli, où les Palestiniens jouent un simple rôle d'observateur et non de partenaire. Le Premier ministre israélien a, pourtant, affirmé qu'il n'y aura plus de retraits unilatéraux de territoires palestiniens du type du plan de désengagement de la bande de Ghaza, achevé le 12 septembre dernier, mais rien ne garantit qu'il ne le fera pas en Cisjordanie. Sharon a déclaré que son nouveau parti est pour l'application de la feuille de route, le plan international de paix pour la région, élaboré depuis deux ans déjà, par le quartette (Etats-Unis ,Union européenne, Russie et ONU). Ce plan, qui prévoyait la création d'un Etat palestinien à la fin de l'année en cours, est totalement paralysé, à cause de l'entêtement de Sharon, qui exige de L'Autorité palestinienne un démantèlement pur et simple des mouvements de résistance armée. « Sharon a détourné le processus en lui imposant des séquences et des conditions et, bien sûr, en se faisant l'interprète de la feuille de route », explique la parlementaire palestinienne, Hanane Achraoui. Utiliser la « feuille de route » comme plate-forme politique est une « excuse à l'unilatéralisme » et une « garantie que rien ne va bouger », assure-t-elle. Les déclarations des conseillers de Sharon justifient les appréhensions palestiniennes. En l'absence de partenaire pour la paix, selon l'expression en vigueur à Jérusalem, Israël continuera de construire le « mur » de séparation en Cisjordanie, en étendant les blocs de colonisation que l'Etat hébreu souhaite conserver, selon Lior Horev, conseiller politique du Premier ministre démissionnaire. « Nous n'attendons pas tranquillement, nous modelons la région, en gardant la sécurité en tête, de la manière dont nous pensons qu'elle doit l'être, et les Palestiniens ont beaucoup à perdre », explique-t-il. « En premier lieu, en échange d'un Etat palestinien indépendant, ils doivent garantir la sécurité. » qu'il soit à la tête du Likoud, de Kadima ou de n'importe quel autre parti, Sharon restera très dangereux, car il n'a jamais cru en une véritable paix entre Palestiniens et Israéliens, une paix honorable qui mettra fin aux tensions que vit cette région depuis plus d'un demi siècle. Il fera tout pour réaliser son dernier rêve de tracer, lui même, les frontières définitives de l'Etat d'Israël, selon ses propres conceptions, ce qui ne laissera aux Palestiniens que des miettes, insuffisantes pour apaiser leurs sentiments d'injustice. Ainsi, même après sa mort, le vieux Sharon léguera à la région tous les ingrédients de la poursuite de ce conflit, pour plusieurs générations futures.