Le régime de Hosni Moubarak, s'il venait à subir le même sort que celui réservé par la Révolution du jasmin au régime Ben Ali, ne peut être que le premier système soufflé par l'effet domino et la chute emportera bien d'autres régimes totalitaires. Le sociologue d'origine tunisienne, Mohamed Raouf Saïdi, invite, en tout cas, à le croire. «Si le régime égyptien tombe, il y aura pas mal de régimes qui vont vaciller», prédit M. Saïdi lors d'une rencontre-débat tenue samedi à la résidence universitaire d'Aâmriw, à Béjaïa, sur invitation du comité estudiantin Itran et du Café littéraire. Y a-t-il des homologies entre les différents régimes en place dans le monde arabe où l'expérience tunisienne pourra faire tache d'huile ? «Les sociétés digèrent chacune à son rythme. Chacune à sa dynamique par laquelle elle est mue», explique-t-il en invitant à voir dans le cas égyptien une expérience à part, notamment pour des considérations géostratégiques : «L'Egypte c'est 100 millions d'habitants et sa place dans l'échiquier de la région est importante.» Pour le sociologue tunisien, chercheur associé dans une université française, personne n'a vu venir la révolution de la rue tunisienne bien qu'elle soit «le résultat d'une dynamique profonde». «Cela est très important à méditer», suggère M. Saïdi et cela devrait aussi permettre de retenir, selon lui, une leçon : celle de «nous pousser à revoir l'élitisme qui touche le mouvement politique». La classe politique tunisienne, qui n'a pas été à l'origine de ce soulèvement, a pris le train de la révolution en marche. «La société civile, combative, a servi de cordon pour éviter que le pire n'arrive» au cœur des événements déclenchés après que Mohamed Bouazizi se soit immolé dans la région de Bouaziz. «Ce n'est pas par hasard si le mouvement a commencé dans cette région qui est devenue la première zone en termes de pauvreté», analyse M. Saïdi qui a eu à faire des recherches de terrain sur la précarité dans cette région frontalière de l'Algérie. «Derrière la tragédie de Bouazizi, dit-il, il y a celle des familles qui mettent beaucoup d'argent pour la scolarité de leurs enfants» mais sans débouché. «Il y a un problème dans la valorisation des diplômes», soutient-il. A cela s'est ajouté le verrouillage politique, la criminalisation de l'opposition, l'option économique ultralibérale qui «a poussé les familles à l'endettement». «C'est cet ensemble d'échecs accumulés qui a donné lieu au mouvement qui a fait tomber le régime.» Un mouvement qui a été mené, rappelle le sociologue tunisien, sur deux fronts : les réseaux sociaux et dans les zones de l'intérieur. Le départ précipité et inattendu, qui en a résulté, du régime de Ben Ali fait dire à M. Saïdi, en tant que sociologue averti, «que tous ceux qui sont dans cette posture doivent réfléchir à cela».