Le président Bouteflika devrait être théoriquement très à l'aise en prévision de la marche du 12 février à laquelle a appelé la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNDC), marche interdite par les pouvoirs publics. En effet, à la différence de la Tunisie et de l'Egypte où les revendications des manifestants se sont focalisées autour du départ des présidents Ben Ali et Moubarak en tant que symboles des régimes autocratiques en place pendant des décennies et condition première pour des changements démocratiques dans ces pays, les mots d'ordre retenus par les organisateurs de la prochaine marche d'Alger ne ciblent pas explicitement et nommément le président Bouteflika. Dans l'«Appel d'Alger» qui constitue une espèce de charte de ses revendications politiques et autres, la CNCD a élaboré une liste de mots d'ordre qui seront scandés par les manifestants à l'occasion de la marche du 12 février dont, entre autres, le changement et la démocratie, la levée de l'état d'urgence, pour une Algérie démocratique et sociale, l'ouverture du champ politique et médiatique, le travail et la justice sociale, la libération des détenus des émeutes. Il n'est fait nulle part mention – du moins explicitement – du départ du système et des hommes qui l'incarnent. La solution radicale du départ du système à la tunisienne et à l'égyptienne n'est pas posée comme préalable à tout changement démocratique par la société civile qui s'est engagée dans le mouvement de protestation. Ce qui est demandé, au regard des revendications exprimées, c'est plus d'ouverture dans le sens de la démocratisation du pays et une prospérité partagée qui profite à tous les Algériens et non pas seulement à une minorité de privilégiés. Serait-ce par souci tactique ? Pour ne pas entrer en confrontation directe avec le pouvoir en plaçant très haut la barre des revendications dans l'euphorie révolutionnaire ambiante. Pour amorcer un changement, une transition en douceur et à moindres frais qui éviterait à l'Algérie les pertes humaines et les dégâts coûteux enregistrés chez nos voisins. Les partisans de la «solution finale» voient dans la démarche une compromission politique qui ne dit pas son nom. Faut-il copier-coller les expériences des révolutions tunisienne et égyptienne du point de vue du contenu intrinsèque des revendications portées par la rue dans ces pays ? Ou, au contraire, emprunter une autre voie, moins radicaliste mais convergeant vers le même idéal démocratique ? Le débat est ouvert, fermant une longue parenthèse sur l'opportunité, la faisabilité politique, voire la nécessité du changement qui est ressentie aujourd'hui avec la même force de conviction en Algérie et ailleurs, dans d'autres pays arabes de la région, du Moyen-Orient et des monarchies du Golfe où des voix commencent aussi à s'élever pour bousculer l'ordre établi. L'équation du changement, telle qu'elle est posée par la CNCD, prend l'aspect d'une perche tendue au pouvoir pour se réformer de manière pacifique. La main tendue sera-t-elle saisie ? Ou bien s'achemine-t-on vers un divorce à l'algérienne qui n'en finit jamais avec les dédales des procédures judiciaires ? Les frustrations, en Algérie, sont d'autant plus grandes que les maigres acquis démocratiques arrachés à la faveur de la révolte d'Octobre 1988 et qui faisaient la fierté des Algériens sont aujourd'hui dépassés par les leçons de démocratie qui nous viennent de pays classés, il quelques jours seulement, comme les derniers de la classe en la matière.