Alger a été mise en état de siège hier, tôt le matin, afin que s'installe un climat de peur sur la ville devant dissuader les citoyens de répondre à l'appel de la Coordination pour marcher au centre de la cité : impressionnant déploiement de forces de police, barrages filtrants, contrôles renforcés d'identité, arrestations… Ajouter à cela de grandes manœuvres de discrédit autant de la marche par l'infiltration de groupes manipulés que de l'initiative citoyenne elle-même par la médiatisation, via la télé unique, des «retournements de dernière minute». Cette offensive des autorités a inévitablement empêché nombre de citoyens de se rendre au lieu de rendez-vous, mais beaucoup y étaient malgré tout, hommes et femmes de tous bords et de toutes catégories. La protestation a donc eu lieu et la Coordination a tenu son pari, plantant le décor. L'opinion publique nationale en est témoin et les médias du monde entier se sont emparés à volonté de l'événement. Inévitablement, le lien a été fait entre la contestation en Algérie et le vent de révolte qui secoue le monde arabe. Par un heureux hasard de l'histoire, la veille de la marche, l'Egypte venait de franchir un cap historique en se débarrassant de son «pharaon». Un mois auparavant, c'était le dictateur de Carthage qui prenait la fuite, ouvrant ainsi la voie à la démocratisation de la Tunisie.D'autres autocrates de la région subissent la colère de leur peuple. En faisant le choix de la répression de cette marche populaire, le pouvoir algérien a encore détérioré son image tant au niveau interne qu'au plan externe. Pourtant, il avait eu la possibilité, dès l'apparition de la révolte populaire des jeunes, au mois de décembre dernier, de rebondir en prêtant une oreille attentive aux revendications de la population et en écoutant les appels de la société civile et de l'opposition. Son autisme n'a qu'une explication : la conviction que les émeutes, les manifestations et les tentatives d'immolation des jeunes ne sont que temporaires et ne possèdent aucune signification politique. Elles sont soit des «chahuts de gamins» comme disait ce malheureux ministre en Octobre 1988, soit des accès de fièvre sans lendemain d'une population habituée à se mettre en colère «pour rien». Une autre raison est que le régime tout entier est sous l'influence totale du président de la République, rétif à tout changement. Celui-ci a paralysé toutes les forces en mesure d'œuvrer pour le changement, y compris au sein du système qu'il a bâti. Les expériences de la Tunisie et de l'Egypte, pour ne citer que ces deux exemples, montrent aujourd'hui amplement que le recours à la répression, à l'interdit et au refus du dialogue et du changement mènent irrémédiablement à l'impasse, voire à la catastrophe. Le régime Ben Ali n'a tenu que trois jours et le pouvoir de Moubarak dix-huit jours. Ils ont payé le prix de leur aveuglement et de leurs ambitions démesurées.