Des affrontements entre policiers et manifestants ont eu lieu, et se sont traduits par quelque 100 blessés, dont 42 ont été acheminés vers l'hôpital, et des centaines d'arrestations, selon le responsable de la communication du RCD. La place du 1er-Mai d'où devait s'ébranler la marche pacifique à laquelle a appelé le Rassemblement pour la démocratie (RCD), a été hier complètement quadrillée par les forces de l'ordre des heures avant le début de la manifestation. Tout autour du jet d'eau qui agrémente cette belle esplanade, des grappes de policiers armés de matraques, de bombes lacrymogènes et de boucliers ont pris position pendant que d'autres bouchaient tous les accès. Un grand nombre de fourgons et autres engins de la police sont stationnés le long de l'avenue de l'Indépendance et du boulevard Hassiba-Ben-Bouali. La place du 1er-Mai et ses parages se sont donc parés, hier, du bleu de la police. C'est le cas aussi de tout l'itinéraire que devraient suivre les citoyens ayant répondu à l'appel du RCD. De mémoire d'Algérois, jamais un dispositif sécuritaire d'une telle importance n'a été déployé par le passé dans la capitale pour encadrer une manifestation de rue. “Je n'ai jamais vu la police mettre en place un tel dispositif pour empêcher une marche”, s'émeut un citoyen. Des barrages filtrants ont été aussi dressés à l'entrée est de la capitale et plusieurs véhicules immatriculés à Tizi Ouzou ou Béjaïa ont été interceptés et immobilisés. D'aucuns verront dans la mobilisation d'un tel arsenal policier un signe de panique qui a gagné les autorités depuis la chute de l'ancien dictateur tunisien Zine El Abidine Ben Ali. Et, dès 10h30, les policiers invitaient tous les citoyens qui se regroupaient ou qui traînaient le pas à déguerpir. Quelques instants seulement après l'arrivée de Ali Yahia Abdenour, président d'honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH) accompagné d'Azwaw Hadj Hemou, une des victime des évènements d'octobre 1988, qui sont allés rejoindre le député RCD Boussad Boudiaf et un groupe de journalistes cantonnés à l'entrée de l'hôpital Mustapha-Pacha, des policiers s'amènent pour disperser ce mini-rassemblement. C'est clair : devant le déferlement policier qui a complètement submergé la place du 1er-Mai, il était quasiment impossible de tenir un quelconque rassemblement. On commençait à s'interroger sur l'absence de Saïd Sadi, président du RCD et des autres responsables du parti. “Il est assiégé au siège national du parti à El-Biar, encerclé par la police très tôt le matin”, explique un journaliste avant qu'un autre ne reçoive un appel pour apprendre que le président du RCD était au siège régional du parti, à la rue Didouche-Mourad. Il est 11h. D'autres infos font état d'affrontements entre manifestants et policiers rue Didouche, également investie par les CNS très tôt le matin. L'on signale que le siège du RCD est encerclé et que la direction du parti, à sa tête Saïd Sadi, y est assiégée. Cap vers la rue Didouche. Le bâtiment est pris en sandwich par un important dispositif sécuritaire qui cantonnait, devant l'entrée principale, des centaines de citoyens dont beaucoup s'étaient drapés de l'emblème national et scandaient des slogans en faveur de la démocratie et d'autres hostiles au pouvoir. “C'est une véritable prise d'otages”, s'indignait un citoyen. Tous les responsables du RCD étaient là : Saïd Sadi, Nordine Aït Hamouda, Mohcine Bellabas, Rafik Hassani, Rabah Boucetta, Boubekeur Derguini, Hakim Saheb, Mohand Ikherbane, Mahfoud Bellabas, etc. La présence de responsables du Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD) et d'acteurs de la société civile comme l'universitaire Fodhil Boumala, un des signataires de la dernière pétition appelant au changement démocratique en Algérie, n'est pas passé inaperçue. Outre les mots d'ordre habituels chers aux démocrates (“Algérie libre et démocratique”, “Boudiaf a laissé un serment, la jeunesse arrive”, “Bouteflika, Ouyahia, gouvernement terroriste”, …) la foule entonnait des chants patriotiques tout en brandissant des cartons rouges. Signe de la sympathie des Algériens pour la “Révolution du Jasmin”, des drapeaux algériens et tunisiens étaient accrochés côte à côte aux balcons de l'immeuble. Une foule décidée à marcher vers l'Assemblée nationale et des policiers instruits de les en empêcher : la confrontation est inévitable. à peine Saïd Sadi a-t-il fini son point de presse, tenu au sous-sol de l'immeuble, que des affrontements se sont déclenchés à l'extérieur. Sous les cris des manifestants, on acheminait les blessés à l'intérieur du siège du parti pour leur prodiguer des soins. D'autres, sérieusement touchés, parmi lesquels Athmane Mazouz, président du groupe parlementaire du parti, qui s'en est sorti avec 4 points de suture, le responsable du bureau régional de Béjaïa, M. Boudraâ, et celui d'Illizi, M. Arab, sont transportés à l'hôpital. Beaucoup d'arrestations, dont celle du député Arezki Aïder, ont été opérées. Bilan : pas moins de 100 blessés dont 42 ont été acheminés vers l'hôpital et des centaines d'arrestations, selon le responsable de la communication du parti, Mohcine Bellabas. Aussi, le RCD a dépêché un groupe de députés pour faire une tournée dans les commissariats d'Alger, afin de s'enquérir de la situation des personnes arrêtées. L'agence officielle APS a rapporté une information faisant état de 7 policiers blessés tout en faisant l'impasse sur ceux enregistrés dans les rangs des manifestants ainsi que sur les arrestations, mais ne manquera pas d'annoncer leur libération en fin de journée. La violence de la répression n'a toutefois pas dissuadé les manifestants, pas du tout impressionnés, à poursuivre la protestation. Ils continueront longtemps à tenir tête à l'armada policière et à crier leur soif de liberté et de démocratie. Certains, comme Mourad, décidément déterminés à se battre pour leur idéal, sont allés jusqu'à se mettre à portée des matraques, défiant les policiers de faire usage de leur arsenal. La marche a été, certes, empêchée par le pouvoir et n'a pu avoir lieu comme elle a été prévue. Mais la rue a parlé et le mur de la peur est bel et bien tombé. Et, du coup, la conviction des citoyens quant à l'urgence du changement s'est trouvée renforcée. Ce n'est qu'aux environs de 15h, après un blocus de plus de six heures, que les militants de la démocratie et des libertés ont décidé de se disperser avant de se donner rendez-vous pour le 9 février prochain. Prenant la parole, le député Nordine Aït Hamouda, fils du colonel Amirouche, s'est indigné : “On croirait qu'on est à l'époque de Salan, Zeller, etc. C'est un système de voleurs et de traîtres.” Auparavant, alors que le siège du RCD était encore encerclé, ce même député avait annoncé qu'il révélera sous peu la liste des bénéficiaires des golden-card de la défunte Khalifa Bank. De son côté, Saïd Sadi a lancé une petite phrase lourde de sens pour dénoncer le blocus dont a fait l'objet le siège de son parti : “Il ne manque que le général Massu”, non sans promettre que “la mobilisation ne fait que commencer”.