"En Algérie, le contexte est explosif", a estimé Luis Martinez, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po. Dans un entretien accordé samedi à leMonde.fr, cet éminent expert a relevé que "le mouvement de protestation pourrait durer plus longtemps en Algérie qu'ailleurs". Et pour cause, l'Algérie "ne dépend pas de l'industrie touristique comme l'Egypte, son système politique n'est pas bâti sur la rente du canal de Suez ni sur les aides de l'armée américaine à l'armée égyptienne", analyse-t-il. Ainsi, pour Luis Martinez, avec ses milliards, "l'Algérie n'a donc aucun problème en terme de résistance à la pression extérieure. D'ailleurs, on voit mal l'Union européenne exercer la moindre pression : l'Algérie l'approvisionne pour 10 % en gaz et en pétrole", explique-t-il. Ceci dit, le chercheur français croit savoir que ni la police, ni l'armée, ni les politiques n'ont envie "de revivre une épreuve de force qui pourrait durer des semaines et des semaines : ils savent d'expérience que cela pourrait déboucher sur une guerre civile". Au sujet de la coordination nationale pour le changement et la démocratie, Luis Mrtinez voit en elle une excellente initiative pour "associer les forces démocratiques traditionnelles en Algérie". Cependant, "la coordination doit trouver de vrais supports politiques, comme en Tunisie et en Egypte, pour passer du virtuel au réel et transformer les aspirations en négociations", avertit-il. Concernant le rôle de l'armée Algérienne dans une révolte populaire, Luis Martinez relève que l'ANP pourrait bien ne pas se ranger du côté des décideurs. "Si l'armée égyptienne est prête à laisser partir le raïs la tête haute, pourquoi pas en Algérie ? J'attends de voir si les Algériens vont reprendre les mêmes slogans qu'en Egypte. Si c'est le cas, cela veut dire que le mode opératoire est comparable", confie-t-il à lemonde.fr. "Pour l'armée algérienne, revenir dans la rue affronter la population est difficile à concevoir. Et si la pression populaire était suffisamment forte demain pour faire partir Bouteflika, je pense que l'armée n'aurait pas de mal à le pousser vers la sortie", explique-t-il encore. Enfin, pour Luis Martinez, le principal obstacle auquel sera confronté une révolte populaire en Algérie est "la question de la solidarité du pays avec sa capitale". Selon lui, il n'est pas sur que "la dynamique va prendre car Alger a pendant longtemps été considérée comme une ville frondeuse, emplie de révoltés et de manifestants, et dans laquelle le reste du pays ne se retrouve pas forcément", estime-t-il. "En Egypte, le Caire a été soutenu très rapidement par le reste du pays. Idem en Tunisie, où la révolution est partie d'une petite ville de province pour arriver jusqu'à Tunis, preuve que l'ensemble du pays s'est reconnu dans le mouvement. En Algérie, en revanche, cette question reste la grande inconnue", conclut le directeur de recherche à Sciens Po et auteur de plusieurs ouvrages sur l'Algérie et le Maghreb .