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« Il faut un débat citoyen sur la rente pétrolière » Luis Martinez. Directeur de recherche au centre d'études et de recherche internationale à sciences politiques de Paris
Le pétrole est-il une bénédiction ou une malédiction pour des pays rentiers comme l'Algérie ? L'analyse de cette problématique ne pouvait tomber mieux à l'heure où la volatilité des cours du brut bouscule dangereusement les certitudes rentières des dirigeants des pays éponymes. C'est un expert du domaine et un chercheur émérite que nous a proposé hier notre confrère gouvernemental Echâab, via son centre des études stratégiques. Luis Martinez – un Algérien d'origine – directeur de recherche à sciences po à Paris, a en effet mis le doigt sur le mal et les malheurs de l'Algérie avec son pétrole. Il a conceptualisé la mauvaise gestion de la rente et cristallisé les craintes de ce que cette richesse serve de carburant à des mouvements idéologiques et radicaux qui menaceraient l'Etat national. Résultat d'une étude consacrée à 15 pays pétroliers, et donc rentiers, dont l'Algérie, le propos mais surtout les projections de M. Martinez ont de quoi inquiéter. « Les Etats rentiers appliquent la relation patron-client avec leurs peuples, du fait que la rente n'est pas mise au service de la société. Voilà, poussé jusqu'à la caricature, le mode de gouvernance en vogue chez les autocrates », d'après le conférencier, qui constate « l'exclusion des sociétés dans la gestion de ces rentes ». Il postule que le pétrole ne doit être qu'un « atout minoritaire » à côté d'une dynamique démocratique. Il prévient néanmoins contre la tentation que la rente serve « d'instrument de puissance politique pour les dirigeants ». Et là, M. Martinez met le doigt sur la plaie en évoquant la formule passe-partout des gardiens de la rente, à savoir la théorie du complot pour se déresponsabiliser politiquement de leur mauvaise gestion. Or, la logique aurait voulu que les maîtres de ces pays rentiers disent simplement à leurs peuples : « Nous nous sommes trompés de choix ! » Et à Luis Martinez de surfer sur la nécessité de rendre citoyen le débat sur le pétrole qui fait tellement défaut dans les pays du monde arabe. Hier, toute l'assistance était pratiquement convaincue que ce spécialiste du pétrole et de la démocratie, entre autres, déclinait crûment l'état des lieux peu enviable de la gouvernance en Algérie. Affranchi du « devoir de réserve » qu'observent scrupuleusement nos chercheurs, M. Martinez s'est employé, avec force arguments et exemples, à mettre en garde nos gouvernants contre la tentation de marginaliser le peuple. « Le pire pour l'Algérie serait d'imposer une gestion autocratique de la rente en dehors des institutions démocratiques. » Un constat d'une brûlante actualité. Le conférencier concède certes que l'Algérie possède l'avantage d'avoir remboursé sa dette par anticipation grâce à la rente pétrolière. Systèmes maléfiques Mais le fait de ne pas savoir où mettre les 140 milliards de dollars de réserves témoigne, d'après lui, d'une panne d'imagination. « Il n'y a pas de stratégie de gestion de la rente en Algérie ! On réfléchit… et on n'a pas encore décidé », soutient le directeur de recherche à sciences po. Et de prévenir : « C'est politiquement dangereux… ça pourrait servir des idéologies radicales ! » Pourquoi les détenteurs du pouvoir en Algérie tâtonnent dans la gestion de l'argent du pétrole ? Réponse de l'expert : « Le système politique algérien n'est pas préparé à gérer cette richesse, ce tsunami financier, et la démocratie est mise à mal. » Pour M. Martinez, la question, pour l'Algérie et pour tous les pays rentiers, se pose ainsi : « Comment sortir de l'usage toxique de la rente, la désidéologiser pour en faire un moteur économique ? » Et dans la bouche de l'expert, « l'usage toxique » signifie l'instrumentalisation de l'argent du pétrole à des fins de puissance politique et de domination des sociétés. Mais jusqu'à quand ? « Un système rentier prend le risque d'être empoisonné… Ce sont des systèmes maléfiques », met-il en garde. Ne pas faire profiter leurs sociétés de la rente expose fatalement les régimes des pays concernés au risque de désintégration et des mouvements autonomistes, notamment des populations où sont implantés les champs pétrolifères. Ceci est un avertissement que lance le politologue, qui évoque des exemples aussi variés que ceux de la Tchétchénie, du nord du Nigeria, des Chiapas au Mexique et même de l'Ecosse à l'égard de la couronne britannique. « C'est presque naturel que les populations locales, à force d'êtres marginalisées dans la gestion et la distribution de la rente, revendiquent un jour leur souveraineté sur la richesse de leur sous-sol dont elles ne profitent pas », avertit M. Martinez. Et de préciser que les compagnies pétrolières qui opèrent dans ces régions pourraient mettre leur grain de sel pour mieux tirer profit de ces richesses. Quid de l'Algérie ? « Je ne souhaite pas que cela arrive en Algérie, mais il faut prendre garde », répond l'auteur du livre La Guerre civile en Algérie 1990-1998. « La loi sur la réconciliation nationale a peut-être réduit l'insécurité, mais a-t-elle pour autant réconcilié les Algériens avec leurs gouvernants ? Quand on voit le taux de participation aux dernières élections (35%), il est permis de se poser des questions », précise M. Martinez. Il est convaincu que l'exemple de la gestion « démocratique » de la rente par un pays comme la Norvège est « incopiable ». L'Algérie devrait d'abord, selon lui, tenter de se rapprocher des standards du Venezuela et du Mexique « qui ne sont pas des modèles de démocratie » mais tout de même en avance sur l'Algérie.