Le film Nader et Simin, du réalisateur Asghar Ferhadi, a remporté l'Ours d'or. Au fil des jours, au Festival de Berlin, on attendait la surprise. Elle est d'abord venue du film anglais Coriolanus, de Ralph Fiennes, adaptation de la célèbre pièce de William Shakespeare. A une époque très incertaine, de révoltes et d'insoumission, ce film est le bienvenu. Sa dimension de tragédie politique est très claire. Il s'agit de l'histoire du peuple de Rome qui s'est révolté il y a des lustres pour le blé caché par les riches en grande quantité, alors que la famine sévit dans la cité. Les révolutionnaires, ivres de liberté, ont réussi à chasser leur tyran Coriolanus du pays. Un fait très actuel... Mission accomplie pour Ralph Finnes qui a fait une mise en scène forte, rapide, passionnante, renvoyant sans cesse aux images qu'on voit en ce moment sur Al Jazzeera et BBC News. C'est un thriller vibrant, très spectaculaire, nourri aussi par la langue magnifique de Shakespeare. Ralph Fiennes joue Coriolanus dans sa haine impressionnante pour le peuple, et Vanessa Redgrave joue le rôle de sa mère, assez monstrueuse dans sa grande ambition. Coriolanus a été tourné à Belgrade, notamment au fameux hôtel Yougoslavia en partie détruit par les bombes de l'Otan. Seconde bonne surprise : le film iranien d'Asghar Farhadi, Nader et Simin, une séparation. Drame social filmé avec une rigueur extrême, récit subtil et complexe à la fois. Une jeune femme, professeure à l'université, décide de quitter le pays à la recherche d'une meilleure éducation pour sa fille âgée de 14 ans. Son mari, un jeune banquier, ne veut pas quitter Téhéran pour soigner son père, atteint d'une grave maladie. Entre les deux époux naît alors une tension doublée d'un incessant affrontement verbal sans précédent. Le récit déborde constamment avec beaucoup de réalisme sur la vie quotidienne à Téhéran, les embouteillages d'une immense métropole, des scènes à l'hôpital et au palais de justice, des incidents sérieux qui montrent combien les rapports sont difficiles entre les riches et les pauvres iraniens. Dans ce récit plein de rebondissements, il est aussi question de la religion et de la place de l'individu dans le cercle oppressant de la vie familiale, dans une société où priment les figures consternantes de dirigeants comme Ahmadinejad. Le mari se dit prêt à essayer de sauver son père, à sacrifier son mariage, l'avenir de sa famille et surtout de sa fille encore très jeune. Le dévouement filial avant tout. La femme entame alors une procédure de divorce, le juge essaye de la raisonner, lui disant que son mari est honnête, sérieux, travailleur, il ne boit pas (les riches iraniens consomment paraît-il beaucoup d'alcool en secret...) et ne fume pas... Elle répond : «mais il ne pense pas à l'avenir de sa fille», la chose la plus sacrée pour elle. Très bonne note aussi pour ce remarquable travail d'Asghar Farhadi. Pour cette très passionnante galerie de portraits de gens de Téhéran dans leur quotidien, leurs rêves et leurs illusions. Cette œuvre, l'une des meilleures de la sélection officielle berlinoise, prouve bien que le cinéma iranien a préservé sa déjà fameuse qualité malgré les coups sombres au pays des mollahs. C'est ce film iranien qui a reçu l'Ours d'or. Mais au Festival de Berlin, il restait à voir le plus surprenant, le plus déroutant et aussi le plus beau film de la sélection : A Torinoi Io (Le cheval de Turin), du Hongrois Bela Tarr, qui dure 145 minutes. Une œuvre époustouflante, ensorcelante, filmée en noir et blanc sans presque pas de dialogues, deux seuls personnages et un cheval. Deux acteurs, le père et sa fille, Janos Derzi et Erika Bok, qui exercent sur le spectateur une fascination extraordinaire. Il vivent dans un huis clos, se nourrissant de pommes de terre bouillies et buvant l'eau d'un puits. La mise en scène de Bela Tarr est faite de très lents plans-séquences, s'appuyant sur une musique envoûtante de Mihaly Vig. Le très intrigant récit du Cheval de Turin a pour origine un curieux incident qui s'est produit à Turin le 3 janvier 1889. Ce jour-là, Friedrich Nietzsche sort de la maison située au 6 de la Via Carlo Alberto. Le grand philosophe voit devant lui un cocher de fiacre qui paraît avoir des ennuis avec son cheval récalcitrant. Le cocher crie, perd patience et brandit son fouet. Nietzsche intervient alors par pitié pour le cheval dont il entoure l'encolure de ses bras. La foule de curieux qui s'était approchée aurait vu le philosophe pleurer en faisant ce geste. Par la suite, aidé par sa mère et sa sœur, Nietzsche rentre à la maison où il demeure sous le choc, plongé dans le silence et la démence jusqu'à sa mort survenue dix ans plus tard. Le film de Bela Tarr s'intéresse à la suite de cet incident, ce qu'il est advenu du cocher et de son cheval. On part alors dans un voyage dans la nuit des temps, une descente aux enfers. Structuré en six jours, c'est le récit d'une lente et inexorable dégradation de la vie. Premier jour, retour du cocher accompagné de sa fille à la ferme, leur cheval a fini par avancer. Une terrible tempête s'est déclenchée. Un vent violent balaye la plaine hongroise désolée, les arbres sont dénudés. C'est l'annonce d'une vie de souffrance et de malédiction. A la maison, la fille accomplit les mêmes tâches, les mêmes chaque jour au même moment. Gestes répétitifs : vêtir et dévêtir son père dont le bras droit est paralysé, entretenir le feu de la cuisinière, cuire les pommes de terre pour le repas, chercher l'eau du puits, allumer le soir les lampes à pétrole. Deuxième jour, la tempête redouble de férocité, le cheval refuse de bouger, de boire, de manger. Troisième jour, un visiteur arrive pour acheter de l'alcool que distille le cocher. L'homme délire un bon moment sur l'apocalypse, il se parle à lui-même, personne ne comprend ce qu'il dit, seule séquence bavarde du film... Quatrième jour, des gens du voyage passent par là et s'arrêtent au puits. Un homme tend une Bible à la fille du cocher. Cinquième jour, le puits est à sec et le cocher décide malgré la tempête de partir ailleurs. Sixième jour, de nouveau dans la même ferme, il n'y a plus d'eau, plus de lumière. Le vent s'est arrêté. Le Cheval de Turin ne ressemble à aucun autre film, c'est une œuvre sortie de nulle part. C'est un chef d'œuvre signé Bela Tarr, un maestro hongrois. Le jury présidé par Isabella Rosselini a décerné le Grand prix à Bela Tarr. Il méritait tous les prix.