Un premier groupe de 250 Algériens établis en Libye a été rapatrié hier par vol spécial de la compagnie nationale Air Algérie. D'autres devraient arriver dans la soirée, fuyant un pays mis à feu et à sang par les milices d'El Gueddafi. Il s'agit essentiellement de résidants à Tripoli, la capitale libyenne. Des «chanceux» qui ont pu se réfugier, dans un premier temps, à l'ambassade d'Algérie, avant d'être acheminé vers Alger. Le sort de la communauté algérienne, estimée officiellement à plus de 8000 ressortissants, pour la plupart des travailleurs émigrés, est des plus incertains. Même les officiels algériens disent ne pas disposer d'assez d'informations sur le devenir des milliers d'Algériens, dont nombre d'entre eux ne sont pas enregistrés au niveau des consulats. «Nous ne savons pas encore s'il y a des victimes parmi nos compatriotes», a déclaré Halim Benatallah, secrétaire d'Etat chargé de la Communauté algérienne à l'étranger. Des témoignages évoquent, selon lui, un mort parmi la communauté algérienne, mais «nous n'avons pas de contacts avec les autorités libyennes. Nous sommes en période de crise et les moyens de transport et de communication entre les villes libyennes sont quasi inexistants». M. Benatallah a indiqué par ailleurs que le gouvernement est disposé à rapatrier tous les ressortissants algériens «désireux de rentrer chez eux. Nous le faisons pour ceux qui n'ont plus leur passeport». Traumatisés par le déchaînement de violence, les tueries en masse auxquelles ils ont assisté, les ressortissants algériens ont été contraints à tout abandonner sur place. «Quand j'ai vu le ministère de l'Intérieur en flammes, je me suis dit que c'en est fini de ce pays», témoigne Hicham, un jeune pizzaïolo originaire de Skikda, installé depuis deux ans dans la capitale libyenne. Les yeux cernés par manque de sommeil, affamés – certains disent n'avoir rien avalé depuis 48 heures – ils décrivent des scènes ahurissantes de guerre civile dont ils ont été les témoins. «Je suis rentré juste avec mon sac à dos de peur d'éveiller les soupçons de mes voisins du quartier car la veille, certains ont menacé de s'en prendre aux étrangers», déclare Amar, aide-cuisinier à British Petroleum. Sans passeport, sans argent car les banques étaient soit saccagées, soit fermées, Abdeslam décrit non sans bégaiement le climat insurrectionnel régnant à Tripoli : «La ville est divisée en deux. Le jour, ce sont les manifestants qui font la loi, la nuit ce sont les mercenaires de Seïf El Islam qui terrorisent la population. De ma fenêtre donnant sur Saha El Khadra, je voyais les manifestants tomber comme des mouches sous les balles des mercenaires.» Le retour forcé des Algériens au pays ne s'est pas fait sans heurts. Après avoir occupé dans un premier temps les halls de l'aérogare internationale d'Alger, les rapatriés, qui exigeaient une prise en charge et des indemnités, ont été évacués par bus vers le comptoir réservé aux hadjis, à quelques centaines de mètres de l'aérogare. Vers 13h, ils se sont résignés à quitter l'aéroport avec… un petit pécule de 2000 DA par personne et des lettres de recommandation aux walis signées par Halim Benatallah. «Les responsables ne voulaient pas qu'on étale notre misère sous le regard des Européens en transit à l'aérogare internationale», affirme l'un deux. «Nous avons été accueilli avec mépris, ajoute-t-il. Ce même mépris qui nous a poussé déjà à l'exil. Alors qu'on demandait une prise en charge sérieuse, des indemnités, on nous ramène des bus pour nous sortir de l'aéroport et le ministre nous offre son numéro de téléphone…» Houria Djaâfar, originaire de Boukadir (Chlef), établie en terre libyenne depuis six ans, avec son époux et ses deux enfants, regrette d'être rentrée de sitôt au bercail : «Yaritni majitche. Si seulement j'étais restée en Libye…» «Nous avons tout abandonné sur place. Nos effets, nos biens… Nous avons pris juste quelques affaires. Que vais-je devenir maintenant, ici, fi bled echar (contrée de misère) sans logement, sans travail ?» La gorge nouée, un père de famille, ouvrier du bâtiment, raconte cette nuit cauchemardesque de vendredi à samedi lorsque une bande de canailles a défoncé la porte de sa maison, alors qu'il était avec sa femme et ses enfants : «Ils ont tout pris. Tout l'argent, les bijoux… Tout…17 ans de travail !» Des jeunes – beaucoup de jeunes composaient le groupe rentré hier –redoutent de renouer avec la hogra, la pauvreté… Désespérés, certains ont menacé de s'immoler par le feu. Dépêchée sur les lieux, la directrice de l'Action sociale d'Alger, Mme Benmiloud, ne savait plus où donner de la tête, se contentant de distribuer quelques billets et de prêcher la bonne parole : «Ils veulent être indemnisés. Cela me dépasse. Nous leur avons juste promis un petit pécule pour rentrer chez eux, nous leur avons offert un kit alimentaire et les avons recommandés aux autorités locales pour prendre en charge leurs besoins et les aider à retrouver un emploi ou un logement…»