Il y a une année, le tout-puissant patron de la police, le colonel Ali Tounsi, dit El Ghaouti, a été assassiné dans son bureau. C'était le jeudi 25 février 2010. L'acte a fait l'effet d'un séisme. Oultache Chouaib, l'auteur présumé du crime n'est autre qu'un colonel de l'aviation, un de ses plus proches collaborateurs, auquel il a fait appel, en 2004, pour mettre en place la toute nouvelle unité de surveillance aérienne, et plus tard, le projet de modernisation des structures de la Sûreté nationale. Des missions très sensibles, qu'il n'aurait jamais eues s'il ne bénéficiait pas d'une totale confiance de la part du défunt. Une année après, la lumière sur les circonstances exactes du crime, et surtout son mobile, ne sont toujours pas connus, suscitant des interrogations aussi bien des avocats de la famille du défunt que ceux de l'accusé. La version de Oultache Convaincue de la culpabilité avec préméditation de Oultache, la partie civile réfute néanmoins le mobile du crime, qu'elle lie à d'autres évènements que la justice n'a pas jugé utile de mettre en lumière. La défense de l'accusé avance une autre thèse. Elle récuse la préméditation et soutient que Oultache a, certes, grièvement blessé son patron, mais que d'autres l'ont achevé, sans pour autant les désigner. Un fait est certain. Feu Ali Tounsi avait convié tous les directeurs centraux, y compris Oultache, à une réunion d'évaluation des chantiers de la modernisation. Jeudi matin. Dans sa version des faits, Oultache affirme avoir demandé à être reçu avant les autres pour reporter l'examen du bilan de ses activités. Après un premier refus, il insiste. Ali Tounsi accepte de le voir avant les autres, qui attendaient dans la salle de réunion au fond du couloir qui la sépare du bureau du DGSN. L'accueil de Tounsi est très froid. Oultache ouvre la discussion en demandant le report de la réunion-bilan afin de permettre à ses éléments de terminer leur travail. Tounsi lui répond sèchement : «C'est aujourd'hui que les comptes doivent être rendus.» Le DGSN lui reproche les retards enregistrés par ses services. Il lui cite les marchés de la télésurveillance et compare l'avancée en la matière enregistrée par la gendarmerie et le retard accumulé par la Sûreté nationale, puis il s'emporte contre Oultache. «Tu n'as rien fait. Ton service est resté à la traîne, tu m'as mené en bateau et tu t'es arrangé pour donner tous les marchés à l'armée. Vous êtes tous des traîtres», lance feu Tounsi. Le ton monte entre les deux officiers et Oultache riposte : «C'est toi le traître et fils de harki !» Un mot de trop, qui pousse le défunt à prendre brusquement un coupe-papier, en se levant de sa chaise. Il se dirige vers Oultache, qui lui dit : «Attention ! Je suis armé, ne t'approche pas de moi.» Tounsi s'avance vers lui d'un ton menaçant. C'est alors que Oultache dégaine son arme, un Smith & Wesson, et tire une balle en l'air pour stopper le défunt, en vain. Il vise une seconde fois, puis une troisième fois son flanc droit. Mais c'était peine perdue. Tounsi est toujours debout, tenant le coupe-papier dans la main droite et cherchant à atteindre Oultache. Il a fallu une quatrième balle pour que le défunt s'affaisse par terre, à plat ventre. Prenant conscience de son geste, Oultache s'affaisse sur le fauteuil et retourne son arme contre lui. La balle ne sort pas. Il tente de la débloquer mais n'y arrive pas. Il se lève, fait quelques mètres en direction d'un meuble de télévision. Il lui donne des coups à l'aide du chien sur lequel repose le percuteur du revolver. Les balles restantes sont bloquées. Il quitte le bureau et se dirige vers celui du secrétaire particulier du défunt. Il l'informe que le DGSN demande après le chef de sûreté de wilaya d'Alger, le directeur de l'administration générale (DAG) et le directeur des moyens techniques (DMT), puis retourne au bureau du DGSN. Lorsque les trois arrivent, Oultache assène un coup de crosse sur la tempe du chef de sûreté de wilaya, avant qu'il ne prenne la fuite suivi des deux autres. Le secrétaire particulier rejoint le bureau de son chef et revient en criant dans le couloir : «Il l'a tué, il l'a tué !» Arme à la main, Oultache sort du bureau, il insulte tout le monde. La salle de réunion se vide. C'est la panique générale. Le couloir et les bureaux se vident. Soudain, quelqu'un surgit de nulle part et lui tire une balle au niveau de l'abdomen, puis une autre au rein. Oultache revient sur ses pas en direction du bureau du DGSN, et le tireur lui loge une troisième balle dans la jambe, puis une quatrième dans l'autre jambe. Malgré ses blessures, il arrive à rentrer dans le bureau. L'arme toujours en main, il s'affaisse sur un fauteuil face à la porte d'entrée, qu'il a pris le soin de refermer. Il perd beaucoup de sang. Les gémissements du défunt résonnent dans son oreille. Quelques minutes plus tard, le bureau est investi sans aucune difficulté par des hommes en bleu, après une pluie de tirs d'armes à feu. C'est là, qu'il dit avoir entendu, une voix rauque lancer d'un ton coléreux : «Achevez-les tous les deux.» Tout s'embrouille dans sa tête avant qu'il ne sombre dans un coma profond. A son réveil au service de réanimation de l'hôpital de Bab El Oued, il se rend compte du danger qui pèse sur sa vie, d'autant que ceux qui enquêtent sur l'affaire sont des policiers de la Brigade de recherche et d'investigation (BRI). Il affirme avoir eu très peur de répondre aux questions jugées très pernicieuses des officiers. Selon lui, ils voulaient savoir ce qu'il a retenu des derniers moments ayant précédé son coma. Il simule une amnésie, en parlant de trou noir, puis avance plusieurs versions des faits, avant de retenir une seule : il n'y a pas de mobile et il n'est pas l'auteur du crime.
Ce que dit l'expertise scientifique La version de Oultache est récusée par l'expertise scientifique. Oultache est venu armé d'un Smith & Wesson au bureau du défunt. Une arme qu'il n'a jamais portée, révèle son plus proche entourage, cité comme témoin. Mieux, les balles qui ont tué feu Tounsi sont celles d'un Smith & Wesson, et aucun impact sur son flanc droit n'a été trouvé sur la chemise qu'il portait le jour du crime. Ce qui a convaincu la partie civile du fait qu'Oultache soit l'auteur matériel de l'acte. Reste pour elle, une énigme non encore élucidée. Celle que la justice a éludée, c'est-à-dire le mobile du crime, qui, selon les avocats, ne peut se résumer à un simple refus du renvoi d'une réunion ou une altercation verbale. Pour la famille de la victime, il est certain que «Oultache est venu avec l'idée de tuer Ali Tounsi. Mais pourquoi ? Une question totalement écartée du dossier, puisque le juge s'est contenté de ne retenir que ce qui s'est passé quelques minutes avant l'acte criminel de Oultache, c'est-à-dire l'altercation verbale». Force est de constater que l'enquête judiciaire a laissé des failles et des zones d'ombre qui suscitent de lourdes interrogations. Et il est peu probable que le procès devant être programmé incessamment au rôle de la prochaine session criminelle de la cour d'Alger apportera des réponses. Les nombreuses personnalités que les avocats de la partie civile et de l'accusé ont souhaité entendre au niveau de l'instruction ne risquent pas d'être convoquées, sauf si…