Les experts s'accordent à dire qu'il est plus aisé de faire des prévisions à long terme du marché énergétique mondial qu'à court terme, même s'ils pensent que l'impact des événements que connaissent certains pays arabes producteurs de pétrole et/ou de gaz est surtout dû au ralentissement de la demande suite à la crise financière qu'à un déficit en approvisionnement en ces ressources fossiles. Pour eux, c'est surtout le cas de la Libye qui est problématique, mais la surproduction de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) compensera ce déficit. Une capacité de production située entre 4 et 6 millions de barils/ jour (Mbj) est inutilisable alors que la consommation est de 6 barils de pétrole chaque année face à un baril découvert seulement. Les craintes viennent de la hausse rapide de la demande face à une production beaucoup plus faible qui posera problème à long terme. La Libye produit 1,55 Mbj et ses réserves sont estimées à 42 milliards de barils. Le cas de l'Egypte est surtout lié au trafic des navires pétroliers, mais seulement 2,1 Mbj passent par le Canal de Suez, rassurent les experts pétroliers internationaux. Pour Mourad Preure, expert pétrolier international et président du cabinet EMERGY, «la situation est assez exceptionnelle dans le monde arabe» et «il n'est pas exclu qu'une telle situation dure dans le temps dans les pays déjà concernés par les changements de régime, cette situation peut aussi s'étendre à d'autres régimes». Cette situation pèse sur l'industrie pétrolière, mais le risque de rupture des approvisionnements est «minime», relève-t-il. Fulgurance de la demande chinoise et indienne Justement, la Chine constitue un élément dominant sur le marché pétrolier, car sa demande s'accroît. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), elle serait responsable de 40% de la hausse de la demande globale en 2011. Elle a battu son record d'importations de pétrole avec 9,6 Mbj en décembre, soit plus que toute la production actuelle de l'Arabie Saoudite (8,25 Mbj le même mois). Sa consommation de pétrole a augmenté de 12,9% en 2010 par rapport à 2009 et de 18,2% pour le gaz. Il est à signaler que la consommation mondiale est de 87,7 Mbj (+320 000 barils de plus qu'estimés). Pour 2011, la demande devrait atteindre 89,1 millions de barils, un niveau record. Pour sa part, l'Inde dépend à 75% de l'étranger pour ses approvisionnements pétroliers, un chiffre nettement supérieur aux 52% de la Chine. C'est pourquoi la demande de l'Inde en hydrocarbures devrait augmenter de 40% aussi dans les dix prochaines années. Ce pays convoite naturellement l'or noir africain. «Beaucoup d'experts pensent que les crises pétrolières sont surtout des crises politiques dans le monde arabe». En fait, explique-t-il, «lorsque des monarchies comme Bahreïn voire Oman sont la proie de troubles, le marché extrapole forcément et imagine un potentiel de diffusion des crises de plus large échelle avec une remise en cause de l'ordre monarchique séculaire». Et d'ajouter : «tout ceci combiné à ce qui se passe dans les autres pays arabes apparaîtrait comme un potentiel renversement d'équilibre dans les pays producteurs d'hydrocarbures du Moyen-Orient, ce qui est en effet une véritable révolution, tenant compte du fait que ces sources sont convoitées aussi par les nouveaux centres de la croissance mondiale que sont la Chine et l'Inde.» Emissions à effet de serre Les experts sont unanimes, en matière de marché énergétique, il est plus difficile de prévoir le court terme que le long terme. Car, «les équilibres géopolitiques dans le monde arabe restent fragiles, beaucoup de tendances centrifuges sont à l'œuvre et toute rupture d'équilibre peut conduire à des configurations chaotiques totalement inattendues», signale M. Preure. Le cas de l'Irak est d'ailleurs assez significatif. D'ailleurs, l'économie mondiale, à travers le Moyen-Orient (57% des réserves et 30% de la production pétrolières mondiales – 41% des réserves et 14% de la production mondiales de gaz) n'a été autant exposée, particulièrement dans cette période de convalescence où le spectre d'une nouvelle récession n'est pas encore écarté, ajoute-t-il. L'AIE a relevé cinq tendances lourdes pour l'avenir de l'industrie pétrolière : le changement climatiques s'est accentué, donc il faudra une alternative. La technologie est la solution pour lutter contre les effets de serre ou changer de ressource énergétique dans l'avenir. Ce qui est déjà en route avec la prédominance progressive du gaz devant le pétrole. Le gaz naturel liquéfié est une énergie «propre», mais son prix pose problème notamment en Algérie, selon Claude Mandil, ancien président de l'AIE et ancien directeur de l'Institut français de pétrole (IFP). L'autre tendance est que le centre du monde n'est plus du côté de l'Atlantique mais en Asie avec la Chine, avec la part de marché de l'Opep qui est en constante augmentation en passant de 40% des réserves mondiales de pétrole actuellement à 70% d'ici 2030. La possibilité d'une période d'âge d'or pour le gaz se profile avec une forte demande, à condition que son prix soit compétitif et enfin une demande en technologie s'accroît. Dans ce sens, les coûts de production du brut seront de plus en plus chers mais personnes n'est capable de déterminer leur évolution. Pour rappel, les investissements pétroliers ont baissé de 16% en 2009, ils ont augmenté de 10% en 2010 (450 milliards de dollars) et de 10 à 12% prévu cette année. Enfin, une équation à trois inconnues est à résoudre dans les prochaines années, avec des coûts importants qu'on ne peut avancer, une lutte contre les émissions à effet de serre dont l'efficacité et l'adhésion sont incertaines et enfin la transition de la dépendance des énergies fossiles (pétrole et gaz) vers d'autres sources d'énergie tout en l'économisant.