Le slogan revient incessant : «Nous n'arrêterons jamais, ni nous nous fatiguerons, ni nous vous pardonnerons… jusqu'à la mort», scandent les femmes des enfants disparus durant les années 1990. Elles sont une centaine, place du 1er Mai. Quelques policiers encadrent les lieux et prient les badauds qui s'arrêtent de poursuivre leur route. Sur la marche de la placette, elles font face à la fontaine dont l'eau jaillissante témoigne d'une ère nouvelle. Elles crient haut, elles crient fort leur dégoût du mensonge, la traîtrise de l'Etat. Elles vocifèrent leur haine à l'oreille de ceux qui forment un cordon bleu et qui leur rappellent les meurtrissures jamais guéries. Ces mères de disparus n'ont plus qu'un seul combat à mener : celui de la vérité. Quand on les interroge sur leur identité, elles soulèvent le portrait de leur fils disparu. Elles sont ces morts ou ces disparus, elles sont leurs représentants à la face du monde, à la face de Ksentini et du président Bouteflika. Elles sont tout à la fois mortes et vivantes, douleur et colère. Elles reviennent sur ce fameux jour qui les a conduites à la place du 1er Mai en ce 8 mars 2011. Natèche Mohamed-Lamine, né le 9 octobre 1979, enlevé en février 1996 : «On était à la maison quand ils ont pris mon fils. Il avait 17 ans. Ils voulaient le prendre pour un interrogatoire. C'étaient les militaires de Bourouba accompagné du PCO. Je sais qu'il est vivant. Qu'ils libèrent nos enfants, on sait que certains sont encore vivants. On est pire que la Libye, on a nos prisons secrètes nous aussi et ils les gardent dedans. Ils ont fait quelque chose de mal ? Ils étaient terroristes ? Ils n'ont qu'à les donner à la justice, s'il y a une justice dans ce pays ! Ils nous l'ont pris comme des apaches. Mes filles ont réussi à faire des études et mon fils était un bon garçon. Cette année-là, il avait reçu sa convocation pour passer son brevet. Un voyou, ça ? Je ne peux me déplacer nulle part, je reviens à chaque fois pour crier mon dégoût. Son père est mort depuis deux ans, vous croyez que ça me plaît de venir à chaque fois ?» Boucherf Riad, né le 12 janvier 1974, disparu en juillet 1995. «On ne tournera jamais la page, ça restera dans l'histoire de l'Algérie. Ils veulent nous acheter avec de l'argent. Bouteflika nous a marginalisées. Les familles des enfants disparus ? C'est une bombe à retardement car si nous les mères on meurt, ils restera toujours un membre de la famille pour reprendre le flambeau. S'ils sont morts, qu'on nous montre leurs tombes, qu'on nous remette leurs ossements ! S'ils sont vivants qu'ils les relâchent. On a des témoins, on connaît les responsables des arrestations. Ils circulent encore dans la rue. Des témoins oculaires m'ont rapporté que mon fils est mort sous la torture, treize jours après son arrestation. Il a été torturé à mort. Je veux voir sa tombe ! Et ces personnes qui représentent la loi ! Ils doivent être punis. C'est impardonnable ce qu'ils ont fait. Ils ont commis des crimes. Ils prétendent que les enfants disparus étaient des terroristes ! Ils les ont jugés pour dire qu'il s'agissait de terroristes ? J'avais 43 ans quand je suis sortie pour me battre pour mon fils et j'en ai presque 60 aujourd'hui. On nous a interdit le siège de la Commission des droits de l'homme. On a été bousculées, jetées par terre par des femmes policières. Avec vulgarité. Nous sommes des Algériennes, nos enfants sont Algériens et ils ont été enlevés en Algérie». Mechani Farid, enlevé en mai 1993. Il avait 28 ans. Son père témoigne : «Mon fils a été kidnappé et emmené directement au commissariat. Quand je m'y suis présenté, ils m'ont dit qu'il n'était pas là. Je ne l'ai plus jamais revu. Quand je suis allé voir le procureur général de Hussein Dey, il m'a raconté qu'il avait été enlevé le 17, mais c'est complètement erroné. J'ai fait ma petite enquête et j'ai découvert que le commissaire de Hussein Dey à l'époque avait fait croire à une attaque terroriste pour expliquer la rafle de jeunes qu'il comptait entreprendre. On sait qu'il y a 3000 personnes enterrées sous X, qu'ils fassent des tests ADN ! Ils ont de l'argent. On veut savoir si nos enfants sont morts ou vivants. On veut qu'on nous donne leurs dépouilles. On sait qu'à Cherchell, il y a une fosse commune avec 13 corps. Ils ont été enterrés là-bas face à la mer. Pourquoi ils nous cachent la vérité ?» Les yeux sont secs. Elles rengainent leur complainte à tour de rôle. Le soleil tape fort. Elles sont debout face à la fontaine depuis 13h de l'après-midi. Le soleil a commencé à décliner. Elles poursuivent. Des jeunes hommes sont adossés au mur, face à elles. Ils les regardent. L'un d'eux dira : «Ce sont des mères de disparus. Elles ne lâchent pas. A l'époque, il suffisait d'être au mauvais endroit au mauvais moment. Car de ce que je peux voir aujourd'hui, c'est que ceux qui ont fait (ces crimes), ils courent toujours.»