C'est une œuvre magistrale que vient de composer notre confrère Bouziane Ben Achour. Bientôt finira la peine, son nouveau roman, qui vient de paraître aux éditions Mon Petit Editeur (Paris), est une invite à une plongée dans le «drame majeur» des migrants clandestins. Un thème poignant et éminemment d'actualité. Le récit dépeint les angoisses des harraga qui échouent sur «Lampe Douta», une imaginaire île, un «no man's land marin», cerné par «une mer peuplée de rêves brisés». Bouziane Ben Achour, journaliste, romancier, dramaturge et critique de théâtre, décrit l'enfer d'un petit escadron de migrants projetés aux premières lignes d'un drame humain. On y voit survivre ces naufragés et on découvre leurs sentiments paradoxaux, leurs petites histoires, leur besoin d'en découdre pour conjurer la peur de la mort. Le narrateur est un aveugle, «sans nom et sans patronyme revendiqué», un clandestin «détaché» qui décrit le désarroi qui règne dans un centre de rétention, où les sentiments de ses semblables «purgent leurs peines, à la traversée en mer ratée». Le récit est terrible, cru et bouleversant. A la croisée de la fiction et de la réalité, Ben Achour raconte les terribles conditions dans lesquelles «le peuple des clandestins mis en dépôt dans une prison», qui ne dit pas son nom, tentant de rallier une vie meilleure. Le récit glisse dans les interstices de l'attente des instants presque légers, volés à la détresse. L'auteur scrute le moindre geste anodin des clandestins qui ne sont rien d'autre qu' «un numéro d'immatriculation». Ironique, parfois cruel, souvent drôle, le récit est incisif et interpellant. La fibre littéraire, le don de la description aussi, la sensibilité et le détachement critique sont là. Les scènes drolatiques sont suivies d'autres, bouleversantes, touchantes. Le roman est brillant, ironique et sombre. Le récit plonge dans les noirceurs de l'âme et donne matière à penser : «La migration vers ce Nord fascinant est un rite, un rite d'amour avant d'être un rite de survie.» Ben Achour écrit de manière théâtrale. Dans ce récit, ses personnages semblent synthétiser tous ceux que l'on a croisés dans ses précédents romans, à l'image de Dix années de solitude, Sentinelle oubliée, Hogra, Fusil d'octobre, Hell'aba, ou encore Medjnoun. Sous ses airs de digression, ce roman, fin et intelligent, dresse une série de portraits de personnages exaltants. Des personnages chargés de symboles, à l'image de Djerada, Litim, Hachara Abidine ou encore Tenjra le cuisinier manchot. La minutieuse description des personnages apporte toute sa force à une tragédie à laquelle se greffe une exaltation lyrique. Et tous ces personnages n'ont qu'un seul point commun : tous doivent supporter stoïquement les sautes d'humeur de Zed, le méchant directeur du centre de rétention. Cruauté et douceur s'alternent sans cesse avec comme fil conducteur : Ghizlaine la psychologue, qui tire à souhait l'intrigue jusqu'au bout du roman. Entre elle et le méfiant narrateur qui cache son petit secret, «s'établissent des rapports flous, ambigus, énigmatiques et étranges». On retrouve l'un des thèmes de prédilection de l'auteur : l'amour. Mêlant un récit poignant et une poésie amoureuse de haute facture, l'auteur déploie des expressions insolites qui virent parfois au pathétique. Du fin fond du centre de rétention où «ça respire le cachot et le pourrissement obsédant», le personnage-clé s'enivre en faisant défiler ses doux souvenirs pour «rendre hommage» à son «amour interdit, impossible et coupable». Sa dulcinée étant, hélas, déjà mariée à un autre. Mais l'amour est plus fort : «J'entrevois la vie à travers tes regards, du fond de ma cécité.» Bouleversant, non ! Plein de vie et d'énergie, ce roman entraîne le lecteur par-delà le deuil. Un deuil représenté par la récurrence de la symbolique que confère l'omniprésent «cimetière». La vie est, certes, en perpétuel deuil, mais belle, malgré tout. Car comme le dit si bien Bouziane Ben Achour : «Il s'agit surtout de ne pas répudier l'espoir, c'est cela l'important».