Exilé en Algérie depuis 1976, le poète et journaliste opposant syrien, Sattouf Samir, revient ici sur la situation dans son pays où la répression contre des manifestants a fait, en une semaine, une centaine de victimes dans la ville de Dreaa. - Quel état d'esprit prévaut actuellement en Syrie ? La rue syrienne vit un état d'ébullition réel. Je communique tous les jours avec mes proches et mes amis, à Damas et ailleurs en Syrie. L'état d'esprit ? Les gens sur place ne supportent plus la situation actuelle, ne supportent plus qu'on touche à leur dignité humaine, surtout après les déclarations de Bachar Al Assad, il y a deux semaines à un journal américain, selon lesquelles «le peuple syrien n'est pas mature aujourd'hui pour la démocratie», et qu'«il faudrait laisser la démocratie aux générations futures» ! Ce président inexpérimenté, qui a simplement hérité du pouvoir de son père, ose définir le degré de maturité de toute une société. Il est étrange que Bachar Al Assad parle de l'immaturité de la société syrienne en 2011, alors que la Syrie a été le tout premier pays indépendant du Tiers-Monde au début des années 1950. C'est le premier pays arabe à avoir élu un député communiste. Et les réalisations démocratiques des années 1950 ont été avant-gardistes pour toute la région. Comment ose-t-il dire aujourd'hui que la Syrie n'est pas mature pour la démocratie ? Mais les tsunamis des révoltes ont eu des échos. Non seulement chez les ONG, mais aussi dans les quelques partis d'opposition. Premier signe : une branche du parti communiste syrien, pourtant allié du pouvoir, vient d'appeler au changement. Deuxième signe : la communauté alaouite – dont est issu Al Assad – vient de publier un communiqué pour dénoncer la prééminence du système et pour refuser le jeu du président Al Assad qui, lui-même, se représente comme le défenseur de cette communauté, dont le destin serait attaché au sien. - La question de l'héritage du pouvoir est centrale en Syrie… Malheureusement, hasard de l'histoire, c'est en Syrie qu'a été inventée la dynastie musulmane depuis Mouâawiya. Quelque part, cette «hérésie» politique de l'héritage des postes suprêmes a commencé en Syrie. Et si vous remarquez bien, tous les régimes arabes — Tunisie, Egypte, Yémen —, qui ont été secoués par des révoltions, sont des régimes où les chefs d'Etat ont essayé de faire hériter leur poste à leurs enfants. L'héritage est une insulte à la dignité du citoyen. Comment se fait-il qu'un peuple lutte pour l'établissement d'un régime républicain et se retrouve avec le pire des régimes : on prend tout ce qui est mauvais dans le système républicain et le pire dans le système monarchique. Récemment, un diplomate occidental, en audience avec le président Al Assad, a vu entrer dans la salle Salman Bachar Hafad Al Assad, âgé de deux ans, le fils du président. Et Bachar Al Assad a présenté son fils au diplomate en lui disant : «Voici le prochain président syrien» ! - Comment a réagi le régime avant d'user de la force ? Une des dernières mesures du président syrien est de léguer la sécurité nationale à la sécurité militaire ! Après, le président a décidé de verser de sa poche un mois de salaire en plus à tous les employés à l'occasion de l'anniversaire de son fils. C'est une honte qu'un président traite ses citoyens de cette manière. La Syrie est un des pays les plus auto-suffisants au monde, en industrie et agroalimentaire. Il y a quinze ans, un rapport comptabilisait 200 millions d'arbres fruitiers dans toute la Syrie. Un record mondial. Mais en Syrie, le prix de la facture d'électricité est de 300% plus élevé que dans le reste du Moyen-Orient et le prix des légumes secs peut augmenter de 300% pendant plusieurs mois.