Retour sur une vie et détour par son roman, La Géographie du danger, superbe et prémonitoire. Hamid Skif est parti trop jeune car, en tant qu'écrivain, il s'affirmait de plus en plus dans ses dernières œuvres. Né à Oran en 1951, romancier en pleine maturité, il avait encore tant à donner aux lettres algériennes, mais la maladie en a décidé autrement. Il s'en est allé, loin de son pays qu'il n'a jamais quitté en fait, comme le montrent ses écrits, témoignages et prises de position. Son attachement viscéral à la terre natale était vrai, et ceux qui l'ont vu ces derniers mois me l'ont confirmé. Il a toujours fait partie du bouillonnement intellectuel dans le pays, puis parmi la diaspora. Sa présence était forte, intense, dense comme son expression écorchée ! Il a toujours été présent, à sa manière, discrète et visible à la fois, dans la réflexion et l'action. Sa présence médiatique remonte au temps où la Chaîne III diffusait de la poésie en direct, dans les émissions du poète algérien Jean Sénac, avec Djamel Amrani, Youcef Sebti, Rachid Bey et les belles voix de Azzedine Medjoubi et Leïla Boutaleb. Il faisait partie de ces jeunes poètes pour qui tous les espoirs étaient permis, tous les rêves possibles. Avec une sensibilité à fleur de peau, il exprimait une véritable vision de la vie et des convictions politiques affirmées : «Ne crains pas de naître, Ou de renaître, Le feu, S'il ne donne que la cendre, Allume aussi la clarté… Va devant, marche, La porte sera toujours ouverte, Si tu veux la voir…» La volonté si l'on veut s'en sortir ; ce message revenait comme un leitmotiv. C'est dans cette perspective qu'il fut également acteur de la vie sociale et culturelle, d'abord à l'ouest du pays, du côté d'Oran, ensuite à Tipasa et enfin à Alger. Journaliste, il s'est exprimé dans divers journaux, écrivant toujours, affirmant ses opinions, mais aussi s'impliquant dans la vie associative. Il a même créé un journal économique qui n'a pas résisté aux aléas financiers ! Durant la décennie noire, à l'instar de nombreux poètes, journalistes, universitaires, il fut menacé de mort, échappant à deux tentatives d'assassinat, d'où son départ en France, puis en Allemagne. Il s'était remis à l'écriture fictionnelle, à la poésie, avec un amour intact des mots et de la langue. Il tenait à s'exprimer, à dire sa vérité, celle d'un homme toujours concerné par les peuples du Sud, par l'Afrique en particulier, par la désertification du Sahel et ses conséquences néfastes, etc. L'avenir des jeunes Africains en mal de vivre, ivres de démocratie, le préoccupait. Il ne voulait pas voir rejoué ce que sa génération avait vécu : la recherche d'un idéal qui ne venait pas. C'est dans cet esprit que l'artiste littéraire a écrit avec brio le superbe roman La Géographie du Danger qui démontre, si besoin était, tout son talent et sa générosité d'homme à l'écoute de son temps. Le héros de cette fiction est un sans-papier qui vit un calvaire, enfermé dans le petit appartement d'un étudiant français qui vient chaque jour lui apporter de quoi survivre. Il ne voit que lui jusqu'au jour où il rencontre Nicole. Une histoire sincère d'amour naît entre eux, compliquant la situation. Au-delà de cette trame où l'humain et ses sentiments et ressentiments sont décrits avec justesse, Skif réussit le tour de force de rentrer dans la psychologie du sans-papier avec ses fantasmes, ses désirs, ses misères et ses frustrations sexuelles. Il plonge son lecteur dans une situation extrême où le sans-papier se transforme en paria, pestiféré, pourchassé par l'extrême-droite qui a pris le pouvoir. Véritable roman science-fiction qui fait froid dans le dos, ce texte est, en même temps, le témoin d'une humanité généreuse. Publié en 2005, ce livre, étrangement prémonitoire, se voit chaque jour confirmé par l'actualité. Un texte littéraire fort, écrit dans un français de tous les jours, mais imagé et puissant. Hamid Skif s'est toujours inscrit dans cette démarche d'éveilleur de conscience par les mots, métaphores ou descriptions terriblement réalistes. Il a toujours été présent pour la défense de la liberté de pensée contre tous les intégrismes dont il a lui-même souffert.