Eminent juriste et grande figure intellectuelle tunisienne, le professeur Yadh Ben Achour est l'une des personnalités indépendantes les plus vénérées de Tunisie. Il a été désigné par le premier gouvernement de Mohamed Ghannouchi, le 17 janvier dernier, à la tête de la commission des réformes politiques, devenue le 18 février Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. -Des voix montent parmi la classe politique et la société civile pour demander le report de l'élection de l'Assemblée constituante prévue pour le 24 juillet prochain et demandent des garanties, notamment en ce qui a trait à l'indépendance de la justice et la neutralité des médias. Cette demande est-elle justifiée d'après vous ? Je respecte parfaitement les partis qui présentent cette demande lorsqu'elle est exprimée en dehors de l'Instance. Car, une des missions principales de l'Instance est de préparer la loi électorale dans les plus brefs délais. On ne peut donc pas se permettre le luxe de retarder l'avènement de cette loi, d'autant plus que la Constituante est une demande populaire. Elle a été imposée au gouvernement de la République, imposée par la voix populaire. Je n'ai pas le droit en tant que président de cette Instance de retarder cette demande et cette ambition qui est fondamentalement populaire. -Même si les conditions d'un scrutin libre et transparent ne sont pas réunies ? Tout cela doit faire l'objet de discussions. Nous, ce que nous voulons, c'est une Assemblée constituante dans les plus brefs délais pour le 24 juillet. Maintenant, si les nécessités matérielles nous obligent à reporter les élections, nous serons d'accord, mais je n'ai pas à ajouter ma volonté, mon propre désir à cette nécessité impérieuse. Mais l'Instance n'a pas le droit d'entraver le processus en cours parce que ce serait contraire à la volonté populaire. Cette période transitoire doit être de courte durée. La période dans laquelle nous nous trouvons est extrêmement dangereuse et qu'il convient d'écourter. Nous n'avons donc pas le droit d'allonger et de prolonger cette situation. Voyez l'état du pays qui n'est pas en train d'évoluer convenablement. Il n'est pas encore rentré dans l'ordre, secoué par un tas de choses. La Tunisie est encore sous l'ivresse de la liberté. Les Tunisiens sont passés d'une absence totale de libertés à une ivresse de la liberté. Même ceux qui n'ont rien à dire montent au créneau, se montrent à la télé. La révolution a changé profondément les mentalités. La Tunisie ancienne n'est plus à l'ordre du jour. On le constate dans l'intérêt que nos compatriotes accordent à ces élections, à l'Instance, à la pratique de la politique. Avant, les Tunisiens mangeaient leur pain et se taisaient, maintenant c'est complètement différent : ils recouvrent leur droit de citoyenneté. -Que pensez-vous de la prestation télévisée, la première du genre, du Premier ministre, mercredi dernier, sur les chaînes TV tunisiennes ? J'ai été très impressionné. Il a apporté des éclaircissements sur l'action du gouvernement qui est un gouvernement provisoire, tout en marquant les missions et les pouvoirs d'un exécutif dans cette période difficile de transition. C'est une période qui exige de la discipline. Des partis politiques ont noté qu'il y a comme des velléités de confiscation de la révolution. Que le RCD qui a été chassé du pouvoir, le 14 janvier dernier, est en train de réoccuper le terrain, de revenir par la porte dérobée… Effectivement, il y a cette appréhension. Mais que voulez-vous, nous sommes pris entre deux extrêmes : organiser une chasse aux sorcières, ce qui serait extrêmement dangereux pour le pays, ou alors laisser libre cours à l'ancien régime de se reconstituer. Pour éviter l'un et l'autre, il faut résolument une politique de sagesse, de prudence.