Yadh Ben Achour, connu pour son intégrité et son haut niveau de compétence, aura la lourde tâche de redessiner la carte politique de la Tunisie. Il aura également la mission salutaire de «laver» le pays du jasmin des saletés de la dictature des Ben Ali-Trabelsi à travers la Haute commission des réformes politiques qu'il préside. La mission paraît compliquée. Le système s'est assis sur le pays pendant 23 ans, a tissé des réseaux et bâti des forteresses. L'équipe de Ben Achour sera amenée à «démanteler» la machine pièce par pièce, boulon par boulon, fil par fil. Le premier grand chantier sera la recomposition de la légitimité politique. Hier, le journal Le Temps de Tunis appelait à «rebâtir les institutions» du pays. «Le système est tombé par les propres graines de la violence qu'il a semées : l'exclusion de l'autre, la diabolisation de toute ‘opposition', si minime soit-elle, la diffusion de la frustration générale et aiguë dans les couches fragiles mais sensibles et éveillées de la société… la jeunesse des campus, des usines, de la rue et des campagnes. Enfin par une ‘mobilisation' intense mais malsaine autour ‘d'acteurs institutionnalisés' alors qu'ils n'ont aucune légitimité institutionnelle à part d'être ‘proches du pouvoir' !», écrit le journaliste Khaled Guezmir. Il y a d'abord le casse-tête du RCD, le parti qui a dominé le pouvoir pendant cinquante ans et qui a annoncé tardivement sa rupture avec le dictateur fuyard en le radiant de ses rangs. Mohammed El Ghannouchi, qui dirige le gouvernement de transition, a annoncé, lundi, que la séparation entre le parti et l'Etat sera consacrée. Mais le RCD, le parti qui trahit ses idéaux de liberté et de justice en «idéologisant» le totalitarisme, acceptera-t-il d'être un parti comme les autres et de ne plus abuser des biens de l'Etat ? Le président par intérim Fouad Mebazaa et le Premier ministre de transition, Mohammed Ghannouchi, ont quitté le RCD. Avec du retard également. L'opposition réclame la dissolution du parti de Ben Ali. Yadh Ben Achour, lui, est favorable à la méthode douce. Il estime que le RCD a connu des déviations dans sa gestion. «Il a utilisé la pression et la menace pour obliger les Tunisiens à adhérer, mais le parti en tant que tel ne pose pas de problème», a-t-il déclaré à Al Jazeera. Son idée est que le RCD doit être banalisé mais maintenu en vie, en d'autres termes éviter le scénario irakien de la dislocation du Baath ou l'option russe de la destruction du PCUS soviétique. La commission qu'il dirige doit, selon lui, s'appuyer sur les principes de la démocratie, du pluralisme et de l'Etat de droit. «Un véritable Etat de droit. Aussi, la commission va-t-elle réviser tous les textes qui ont permis à l'ancien régime de verrouiller le pays», a-t-il précisé. La Constitution et la loi électorale figurent en tête des textes à amender. Selon Ben Achour, deux mois ne suffisent pas à organiser des élections présidentielles honnêtes, sur une nouvelle base juridique. L'article 57 de l'actuelle Constitution tunisienne prévoit l'organisation d'un scrutin présidentiel dans les soixante jours qui suivent la vacance du pouvoir. «On doit réfléchir à organiser des présidentielles à partir d'une loi électorale revue avant d'engager une révision globale des lois», a soutenu Yadh Ben Achour. Attaché à son indépendance comme il l'a été sous la dictature de Ben Ali, cet universitaire opposant a souligné que son travail au sein de la nouvelle commission est une action bâtie sur la confiance. «Il n'y aura ni pressions ni interférences», a-t-il promis. «La Tunisie a de bons cadres dans toutes les tendances politiques… Ils sont capables de raison pour remodeler le système politique et lui donner la fonctionnalité nécessaire pour une participation politique la plus large possible et surtout mettre au musée de l'histoire la personnalisation excessive du pouvoir !» a conclu, débordant d'espoir, Le Temps. Yadh Ben Achour, spécialiste des théories politiques islamiques et de droit public, sait que le travail sera titanesque et périlleux pour ouvrir les portes du… musée de l'histoire.